-
Olivia Venet,
avocate et présidente de la Ligue des droits humains
-
Sibylle Gioe,
avocate et administratrice de la Ligue des droits humains
Révolter ce que l’on sème
Le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 avertit qu’en l’absence de protection des droits humains par un régime de droit, les êtres humains seront contraints, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression.
Idéalement, une société démocratique et respectueuse des droits humains repose sur un système adéquat pour assurer l’autodétermination de ses citoyens qui, collectivement, ont la volonté de pleinement réaliser tous les droits fondamentaux, de nature civile, politique, économique, sociale ou culturelle.
En pratique, les États souscrivant à l’idéal démocratique doivent à tout le moins garantir – au-delà du système électoral – les droits et libertés suivants, gardiens de la défense de tous les autres : la liberté de se réunir, de s’associer, de former des syndicats, de s’exprimer, de penser. Lorsque ces mécanismes minimaux ne sont pas garantis ou qu’ils restent sans effet sur les violations des droits humains dénoncées, que reste-t-il aux populations opprimées, sinon la désobéissance et la révolte ?
Oscillant entre pacifisme courtois et rébellion radicale, à la mesure proportionnelle des violations des droits humains dénoncées et de l’incapacité des régimes à s’amender selon des voies démocratiques et pacifiques, les mouvements ont lutté alors et aujourd’hui, ici et ailleurs : Révolution française de 1789, Commune de 1871, lutte pour les droits civiques aux États-Unis des années 1960, grèves belges en 1886, 1960 ou 2015, printemps arabes des années 2010, gilets jaunes, Extinction Rebellion, ZAD, Black Lives Matter,…
Le récit des soulèvements est incomplet sans celui des stratégies mises en place par les gouvernants pour les assourdir, avec des modes variables de violence et de technologie, selon les lieux, les époques et les enjeux. Aujourd’hui, nous songeons par exemple aux gilets jaunes éborgnés en France, au déploiement de forces paramilitaires pour mater les manifestations de fermiers en Inde, à la condamnation à des peines de prison (avec sursis) à des syndicalistes en Belgique, aux milliers de prisonniers politiques en Turquie qualifiés de terroristes, au fichage par la Sûreté de l’État des désobéissants, à la décrédibilisation médiatique des mouvements populaires, au harcèlement policier des militants, etc.
Ces mesures liberticides sont-elles efficaces ? Et surtout, de quoi sont-elles le signe ?
Sans nier les vertus terrorisantes de la violence d’État à court terme, il nous faut conclure que celle-ci est, à long terme, au mieux inefficace, sinon contre-productive. En réprimant la faculté de faire usage des mécanismes d’amendement pacifique de la société (manifestation, association, expression…) et en se maintenant dans le déni des appels pacifiques au respect, à la protection et à la promotion des droits humains, l’État affiche sa préférence pour la tyrannie plutôt que pour la démocratie. Ainsi, il légitimise, encourage et stimule le recours à la révolte de la population pour « l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère », soit, selon la Déclaration de 1948, pour « la plus haute aspiration de l’homme ».
< Retour au sommaire