• Julien Dohet
    Julien Dohet
    historien, administrateur de l’IHOES et initiateur de l’initiative Vive la Commune ! Vive la Sociale !

La Commune et l’Église catholique : une attitude inscrite dans la filiation de la Révolution Française

Évoquer le rapport entre la Commune et l’Église, c’est évidem­ment souli­gner combien, dans la foulée de 1789, la Commune voulut s’attaquer au cléri­ca­lisme et à l’influence de l’Église catho­lique dans la vie sociale et la poli­tique. Au-delà d’une Église au service des puis­sants et très peu à l’écoute réelle des plus pauvres, le soutien de l’épiscopat au Second Empire (1852–1870) illus­trera le poids du « parti cléri­cal » et explique très large­ment les déci­sions des Commu­nards envers l’institution reli­gieuse1.


De manière très symbo­lique, la Commune va remettre à l’avant-plan le calen­drier répu­bli­cain (mis en vigueur par Robes­pierre en 1793 et supprimé par Napo­léon en 1806) suppri­mant dès lors le nom des saints de chaque jour au profit de produc­tions natio­nales et instru­ments ruraux asso­ciés aux saisons concer­nées. Les fêtes reli­gieuses étaient aussi suppri­mées au profit de fêtes républicaines.

Un autre lien direct avec la période de la Première Répu­blique sera la proli­fé­ra­tion des clubs qui, outre dans des salles de fêtes et des amphi­théâtres univer­si­taires, se réuni­ront comme en 1789 dans des églises. Ces clubs seront l’expression la plus hori­zon­tale et la plus radi­cale de la poli­tique sous la Commune. Souli­gnons que les réqui­si­tions des églises n’étaient pas totales, les offices se dérou­lant dans la jour­née tandis que les clubs prenaient posses­sion des lieux à partir de 17 h finan­çant l’éclairage et le chauf­fage par le droit d’entrée à la réunion.

Au-delà des déci­sions extrê­me­ment impor­tantes concer­nant l’enseignement et le fait de sortir l’instruction de l’influence des congré­ga­tions reli­gieuses2 pour aller vers un ensei­gne­ment laïque mixte et gratuit, la Commune procla­mera surtout le 2 avril, la sépa­ra­tion de l’Église et de l’État. Les prin­cipes édic­tés en sont clairs et précis : « La Commune de Paris, Consi­dé­rant que le premier des prin­cipes de la Répu­blique fran­çaise est la liberté ; Consi­dé­rant que la liberté de conscience est la première des liber­tés ; Consi­dé­rant que le budget des cultes est contraire au prin­cipe, puisqu’il impose les citoyens contre leur propre foi ; Consi­dé­rant, en fait, que le clergé a été le complice des crimes de la monar­chie contre la liberté. Décrète : Art.1. L’Église est sépa­rée de l’État. Art.2. Le budget des cultes est supprimé. Art.3. Les biens dits de main­morte appar­te­nant aux congré­ga­tions reli­gieuses, meubles et immeubles, sont décla­rés proprié­tés natio­nales. Art.4. Une enquête sera faite immé­dia­te­ment sur ces biens, pour en consta­ter la nature et les mettre à la dispo­si­tion de la nation 3 ». Tant le prin­cipe que les consé­quences finan­cières pour l’Église feront de ce décret un des prin­ci­paux chif­fons agités par la réac­tion contre la Commune. Chif­fon qui sera d’autant plus agité que quelques jours plus tard, le 6 avril la Commune prend un décret sur les otages et arrête notam­ment sur base de celui-ci l’archevêque de Paris Mgr d’Arboy.

Avec l’évolution de la situa­tion mili­taire défa­vo­rable à la Commune et les massacres perpé­trés par les lignards de Versailles, la tension et la fureur anti­re­li­gieuse va aller cres­cendo. Au-delà des cari­ca­tures, profa­na­tions et céré­mo­nies paro­diques, cet anti­clé­ri­ca­lisme se marquera par des destruc­tions ciblées. L’exécution de Mgr d’Arboy le 24 mai durant la semaine sanglante (22 autres reli­gieux subi­ront le même sort) alors que depuis 72 heures, hommes, femmes et enfants soup­çon­nés d’appartenir à la Commune sont fusillés en masse au fur et à mesure de la progres­sion des troupes versaillaises dans Paris. Un massacre systé­ma­tique destiné à « puri­fier » la ville et qui fera plusieurs milliers de victimes sur cette seule semaine auxquelles il faut ajou­ter les morts en dépor­ta­tion et ceux assas­si­nés après avoir été faits prison­niers dans les combats.

Cet anti­clé­ri­ca­lisme de la Commune de Paris ne sera pas pardonné par l’Église qui voudra marquer de son empreinte la ville de Paris. Elle fera donc construire là où tout a commencé, au sommet de la butte Mont­martre, une basi­lique dite « du sacré cœur ». Ce dernier (un cœur surmonté d’une croix) est un symbole parti­cu­liè­re­ment fort. Accom­pa­gné de l’inscription « Dieu, le Roi » c’était celui des Chouans et des Vendéens contre la Révo­lu­tion. Aujourd’hui encore il est utilisé par les groupes ultra-catho­liques d’extrême droite.


  1. Voir sous la direc­tion de Michel Cordillot, La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, (coll. Le Maitron) Paris, éditions de l’Atelier, 2020. Prin­ci­pa­le­ment Cordillot, Michel, Les clubs sous la Commune, pp.243–246 Lalouette, Jacque­line, L’anticléricalisme sous la Commune, pp.682–684.
  2. Voir l’article de Jean-Fran­çois Dupey­ron dans ce même numéro p.8.
  3. Jour­nal Offi­ciel de la Répu­blique fran­çaise n° 93 du lundi 3 avril 1871, p.1, col.1. (coll. De l’auteur).
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