• Jean-François Dupeyron
    Jean-François Dupeyron
    enseignant-chercheur en philosophie à l’Université de Bordeaux

La Commune de Paris et l’école

Les amis de l’éducation laïque ont beau­coup à apprendre de l’expérience poli­tique de la Commune de Paris en 1871, qui mit en chan­tier une éduca­tion nouvelle à partir du fonds péda­go­gique construit par le mouve­ment ouvrier et les socia­lismes au XIXe siècle.


La réforme de l’éducation mise en œuvre par la Commune s’appuya sur la requête program­ma­tique rédi­gée par la Société de L’Éducation Nouvelle, une orga­ni­sa­tion répu­bli­caine. Le projet posait trois éléments nova­teurs : une éduca­tion plei­ne­ment répu­bli­caine ; une école alignée sur les prin­cipes péda­go­giques socia­listes ; une école et une crèche laïques comme services communs contrô­lés par la population.

La première école républicaine

La Commune créa une école publique et commune (ouverte à tous), démo­cra­tique (assise sur le droit univer­sel à l’éducation et à l’instruction), tendant vers la gratuité (elle fut mise en œuvre dans certains arron­dis­se­ments pari­siens) et fonc­tion­nant de façon laïque (l’enseignement et la vie scolaire devant être indé­pen­dants de toute reli­gio­sité et ne dispen­ser que des savoirs ration­nels et des prin­cipes communs de citoyen­neté républicaine).

Elle entama donc le rempla­ce­ment de l’enseignement congré­ga­niste par l’enseignement laïque, en s’appuyant sur le décret de sépa­ra­tion de l’Église et de l’État, le 2 avril 1871. Ce décret inouï permit de mener la première expé­rience de laïci­sa­tion de la puis­sance publique en France. Ainsi, dans beau­coup d’arrondissements, la Commune ne se contenta pas d’ôter les cruci­fix des salles de classe, elle impulsa une véri­table révo­lu­tion : la fin de la domi­na­tion cléri­cale catho­lique sur l’ensemble de la société. La Commune vota aussi en mai 1871 le premier décret établis­sant l’égalité des salaires entre les femmes et les hommes dans l’enseignement primaire, mesure tout à fait avant-gardiste à l’époque.

L’éducation intégrale

L’école de la Commune s’aligna aussi sur les prin­cipes péda­go­giques du mouve­ment ouvrier socia­liste, qui défi­nis­sait l’éducation inté­grale comme une éduca­tion complète et simul­ta­née, inté­grant dans les propo­si­tions péda­go­giques la forma­tion aux futures tâches profes­sion­nelles. Cette éduca­tion, donnant à chacun la possi­bi­lité de déve­lop­per libre­ment toutes ses facul­tés, était conforme au prin­cipe d’égalité. Elle était commune aux filles et aux garçons, sans hiérar­chi­ser les formes de savoirs, sans exclure de l’école le travail manuel et la forma­tion professionnelle.

Cette dimen­sion était le prin­ci­pal marqueur socia­liste du programme scolaire de la Commune, confor­mé­ment aux besoins popu­laires et à l’idée d’une société recons­truite autour du travail. Quelques écoles profes­sion­nelles ouvrirent ainsi en mai 1871.

L’éducation inté­grale, c’était aussi la diffu­sion par l’école d’éléments réser­vés aux élites sociales : la culture du corps et la pratique des exer­cices physiques, ou l’entrée de l’art et de l’artiste à l’école, comme le proposa la Fédé­ra­tion des Artistes.

L’école-atelier

Le concept d’école-atelier concré­ti­sait l’articulation du travail produc­tif et de l’instruction scolaire. Tout comme l’ouvrier ne pouvait pas apprendre sans faire, l’enfant ne pouvait apprendre qu’en agis­sant et en travaillant. D’où une péda­go­gie du travail et de l’expérience.

La Commune souhai­tait même permettre aux travailleurs de parti­ci­per à l’enseignement. Le modèle clas­sique de l’enseignant, défini par son instruc­tion, devait coha­bi­ter avec l’intervention d’autres profes­sion­nels. Cette école-atelier, dans laquelle les enfants seraient initiés à certains métiers, avait pour modèle l’école poly­tech­nique dont parlaient Marx et l’AIT (Asso­cia­tion inter­na­tio­nale des travailleurs) : rappro­che­ment entre les orga­ni­sa­tions de travailleurs et l’école ; amélio­ra­tion de la forma­tion initiale ; éman­ci­pa­tion popu­laire par le contrôle de l’action éduca­tive ; trans­mis­sion d’une culture et d’une morale du travail afin d’extirper des consciences enfan­tines les discours des dominants.

La méthode syndicale

Cette méthode voulait bâtir la nouvelle école en lien direct avec le mouve­ment ouvrier et ses chambres syndi­cales, ainsi qu’avec le mouve­ment social, les ensei­gnants, les asso­cia­tions répu­bli­caines et socia­listes et la popu­la­tion. Comme l’émancipation des travailleurs ne saurait être que leur propre œuvre, ceux-ci devaient se saisir de l’éducation au même titre que de l’économie, du secteur bancaire et des services communs.

La réforme scolaire de la Commune s’inscrivait ainsi dans le projet global d’autoémancipation des travailleurs. C’est ce projet de service commun d’éducation laïque déli­vré de la hiérar­chie étatique et ouvert sur les besoins et les initia­tives popu­laires qui porte encore aujourd’hui la promesse d’une éduca­tion permet­tant de vivre en commun en toute égalité dans une société libé­rée de la domi­na­tion sociale.


Jean-Fran­çois Dupey­ron est l’auteur de :
À l’école de la Commune de Paris. Dijon, éditions Raison et passions, 2020 et de Commun-Commune. Penser la Commune de Paris (1871). Paris, éditions Kimé, 2021.

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