• Micheline Zanatta
    Micheline Zanatta
    historienne et présidente de l'Institut d'histoire ouvrière, économique et sociale (IHOES)

La Commune de Paris a 150 ans

En cette année 2021, nous allons commé­mo­rer les 150 ans de la Commune de Paris. À Liège même, de nombreuses initia­tives sont prévues pour rappe­ler les apports de cette révo­lu­tion. Petit retour sur ces 72 jours qui ont marqué l’Histoire.


Le peuple de Paris, qui a vu sa condi­tion aggra­vée pendant les vingt années précé­dentes, a subi un siège épui­sant lors de la guerre franco-prus­sienne de 1870. À l’issue de cette guerre, il se sent trahi par un pouvoir qui a capi­tulé devant l’ennemi et qui menace son idéal républicain.

Le 18 mars 1871, quand l’Assemblée parle­men­taire réfu­giée à Versailles tente de lui enle­ver ses canons, il se soulève. Rapi­de­ment il s’empare de l’Hôtel de Ville et installe un pouvoir auto­nome : la Commune qui orga­nise la ville et légi­fère de façon très active. Les Versaillais orga­nisent le siège de la ville, ponc­tué par des offen­sives qui se terminent par la Semaine sanglante du 21 au 28 mai.

L’étude de la Commune est complexe. Elle a duré à peine 72 jours, mais elle a frappé les esprits par ses débats et ses réformes.

La droite en a fait une opéra­tion mons­trueuse qui ne visait que la destruc­tion des valeurs et des biens de la société. La gauche l’a érigée en mythe, celui d’une révo­lu­tion ouvrière où les idées socia­listes ont connu le plus grand abou­tis­se­ment, où le peuple de Paris a pris son sort en main. C’est en effet lui qui a pris les armes et a installé un pouvoir origi­nal, celui d’une Commune qui exerce une démo­cra­tie directe, avec l’espoir de créer une fédé­ra­tion de communes.

Tous n’interprètent pas cette notion de la même façon : les élus se partagent entre une majo­rité plutôt auto­ri­taire inspi­rée des révo­lu­tion­naires de 1793 et une mino­rité, aux idées qu’on peut quali­fier de socia­listes, surtout d’inspiration anar­chiste. Les premiers veulent la démo­cra­tie, mais sans toucher au pouvoir écono­mique, les seconds veulent briser les struc­tures de l’État capi­ta­liste ; bien qu’ils soient mino­ri­taires, c’est ceux-ci, et en parti­cu­lier les repré­sen­tants de l’Association inter­na­tio­nale des travailleurs, qui ont apporté les projets les plus originaux.

L’étude de la Commune est complexe. Elle a duré à peine 72 jours, mais elle a frappé les esprits par ses débats et ses réformes.

La Commune s’est créée autour de la défense de la nation et de la répu­blique. Cepen­dant, dès sa mise en place, elle installe un nouveau pouvoir démo­cra­tique où les élus sont respon­sables de leurs actes devant les élec­teurs. Elle proclame la sépa­ra­tion de l’Église et de l’État. Les femmes sont au premier rang du combat pour la laïcité, elles que la société bour­geoise du XIXe siècle et l’Église ont trans­for­mées en mineures, dépour­vues de droits et tota­le­ment soumises à l’autorité de leur mari. Elle déve­loppe un esprit inter­na­tio­na­liste en adop­tant le drapeau rouge et en inté­grant à sa direc­tion des étran­gers auxquels elle accorde la citoyenneté.

Elle est profon­dé­ment sociale, en votant des lois très en avance sur les légis­la­tions de l’époque et si les ouvriers ne sont pas majo­ri­taires à l’Hôtel de ville, ils le sont sur les barricades.
Dans les années qui ont suivi, l’opinion est restée impres­sion­née par la fin de la Commune, les froides exécu­tions perpé­trées par les Versaillais dans les derniers combats, les condam­na­tions massives, la dépor­ta­tion en Nouvelle-Calé­do­nie, la person­na­lité d’une Louise Michel.

Cette image de commu­nards et de leur barri­cade dans les rues de Paris le 18 mars 1871 conti­nue de marquer les esprits 150 ans après. Collec­tion Musée Carnavalet

Le mouve­ment ouvrier d’idéologie marxiste a fait de cette expé­rience les fonde­ments de son combat, mais les crises du mouve­ment ouvrier dans les dernières décen­nies l’ont renvoyée au rang d’événement histo­rique. Comme l’écrit l’historien Jacques Rouge­rie en 1995 : « La mémoire vive de la Commune s’estompe. Elle est désor­mais objet d’histoire. »

Le nom même de ses plus grands acteurs est ignoré, sauf de la part des amateurs des romans de Jules Vallès ou des chan­sons mili­tantes, comme Elle n’est pas morte, d’Eugène Pottier qui clame : « On a bien fusillé Varlin, Flou­rens, Duval, Millière, Ferré, Rigault, Tony Moilin, gavé le cimetière, … »

Seul survit le nom de Louise Michel, haïe et crainte des uns, esti­mée et adorée des autres.

Et pour­tant…

À une époque où un gouffre sépare les élus et les citoyens, où l’urgence de certaines mesures sociales, comme le droit au loge­ment, s’impose encore à nous, où il faut encore se battre pour un ensei­gne­ment laïque et une égalité effec­tive de la femme et de l’homme, la Commune peut encore faire rêver, elle qui portait en elle telle­ment d’espoir et de géné­ro­sité, mais aussi des idées d’une moder­nité remarquable.


  • Pour aller plus loin : Une mise à jour magis­trale du diction­naire Le Maitron : Michel Cordillot, La Commune de Paris 1871. Les ­acteurs, l'événement, les lieux, Paris, L'Atelier, 2021.
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