• Henri Bartholomeeusen
    Henri Bartholomeeusen
    président du Centre d’Action Laïque

Quels combats laïques pour le futur ?

Si l’on prend la mesure du chemin parcouru, le mouve­ment laïque peut s’enorgueillir d’un certain nombre de succès depuis sa créa­tion. La sécu­la­ri­sa­tion de notre société a nette­ment progressé. D’importantes avan­cées éthiques ont été engran­gées qui permettent d’affirmer l’émancipation des personnes et l’autonomie des choix. 


Mais notre société change. Elle se carac­té­rise par une forte diver­sité et une dimen­sion inter­cul­tu­relle crois­sante. Elle fait face à des défis socio-écono­miques et des degrés d’inégalités élevés, mais elle en rencontre de nouveaux comme les ques­tions migra­toires, les enjeux clima­tiques ou la digi­ta­li­sa­tion. De surcroît, les progrès que nous pensions acquis sont remis en cause, notam­ment sous la pres­sion de courants dogma­tiques reli­gieux. Ces nouveaux défis ne remplacent pas les anciens. Ils s’y super­posent. Nous obligent et justi­fient notre vigi­lance, prix de nos libertés.

Notre premier chan­tier consiste donc à faire œuvre de péda­go­gie, à promou­voir la laïcité et à l’inscrire au fron­tis­pice des garan­ties qui régissent le fonc­tion­ne­ment de la société. Si le temps est construc­tion, il demeure que la laïcité reste trop mal connue. Souvent confon­due avec l’absence de convic­tion reli­gieuse, voire avec une idéo­lo­gie antireligieuse.

Immense travail celui d’expliciter ce prin­cipe d’impartialité qui fonde le régime des droits et liber­tés fonda­men­tales et en auto­rise l’exercice. Parce que la laïcité assure à toutes et tous, chacune et chacun, la liberté de penser, la liberté d’expression, la liberté de conscience et la liberté reli­gieuse notam­ment, elle auto­rise le débat dans le respect des personnes, fait place à la diver­sité, l’autonomie des choix et la dignité humaine. Véri­table clé du vivre-libre-ensemble, de la démo­cra­tie et de l’État de droit, elle assure le respect des diffé­rences, des singu­la­ri­tés person­nelles. Elle est porteuse d’universalité.

Mais la péda­go­gie ne suffira pas. Il nous faudra aussi résis­ter aux vents contraires. Non sans malice, les droits fonda­men­taux sont de plus en plus ques­tion­nés. D’aucuns instru­men­ta­lisent le droit à la famille pour récu­ser le mariage homo­sexuel. Détournent le droit à la vie pour refu­ser l’euthanasie ou condam­ner les femmes qui inter­rompent une gros­sesse non dési­rée. Assignent aux droits fonda­men­taux des fina­li­tés contraires à celles pour lesquels ils furent reconnus.

Le sophisme conduit à les disqua­li­fier lorsqu’ils auto­ri­se­raient l’Homme réputé « déna­turé » à trahir cette nature (par exemple en chan­geant de sexe) sans respect pour « La Morale » iden­ti­fiée au divin dessein. Les droits humains pour retrou­ver protec­tion devraient ainsi rede­ve­nir conformes à la nature de l’Homme. La famille natu­relle ne pour­rait plus être compo­sée qu’à partir d’un couple hété­ro­sexuel. Une telle concep­tion revient à substi­tuer à l’éthique huma­niste du respect des personnes la morale reli­gieuse des théo­lo­gies commu­nau­taires. Elle sape les fonde­ments de nos aspi­ra­tions à l’universalisme.

Photo par Nine Kopfer sur Unsplash.

Le fossé se creuse alors entre les parti­sans d’un monde figé, d’un retour à l’obscurantisme poli­tique, social et reli­gieux et les tenants d’une société d’adultes, majeurs qui reven­diquent de penser et choi­sir, par et pour eux-mêmes, leur avenir, leur destin indi­vi­duel et collectif.

Pour cette simple raison, entre autres, notre mobi­li­sa­tion doit être maxi­male. Mais notre volonté d’ériger une société plus libre, plus juste et soli­daire ne peut se satis­faire de péda­go­gie ou de résis­tance. Notre exigence oblige à pour­suivre de nombreux autres chan­tiers et à déve­lop­per l’action laïque.

Sans prétendre à l’exhaustivité, rete­nons-en diffé­rents chapitres dont l’impartialité de l’État, la réforme du système de finan­ce­ment public des cultes, la dépé­na­li­sa­tion totale de l’interruption volon­taire de gros­sesse, la géné­ra­li­sa­tion de l’éducation à la vie rela­tion­nelle, affec­tive et sexuelle, la conso­li­da­tion et l’amélioration de la légis­la­tion en matière d’euthanasie, la régle­men­ta­tion de la produc­tion, de la commer­cia­li­sa­tion et de la consom­ma­tion de drogues, la réforme du droit et de la poli­tique pénale, la promo­tion d’alternatives à la déten­tion, la lutte contre toutes les formes de discri­mi­na­tion, la défense du réseau public unifié d’enseignement, les cours obli­ga­toires de philo­so­phie et de citoyenneté…

Si ces combats restent au cœur de nos préoc­cu­pa­tions ils ne pour­ront évin­cer de nouveaux enjeux socié­taux. J’en mention­ne­rai deux. La ques­tion clima­tique et envi­ron­ne­men­tale qui pose un défi inédit à l’Humanité. Comment rester absent face à des inter­ro­ga­tions, mais surtout des réponses complexes qui touchent à l’évolution démo­gra­phique expo­nen­tielle, à la soli­da­rité avec les géné­ra­tions futures ou aux inéga­li­tés qui frappent les plus faibles, premières victimes des atteintes à l’environnement ? Ensuite, l’intelligence arti­fi­cielle dont les promesses s’accompagnent de risques consi­dé­rables sur le plan éthique notam­ment, en parti­cu­lier pour notre libre arbitre ou notre capa­cité à maîtri­ser l’évolution de la société. Le théâtre de ces enjeux ne se limi­tera pas – cette fois ? – à la seule Belgique francophone.

Il nous revient d’universaliser notre propos et notre action. Dans l’espace et dans le temps. À l’adresse de nos contem­po­rains comme – dirait Fran­çois Villon – des « Frères humains qui après nous vivez ».

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