• Louis Michel
    Louis Michel
    Vice-Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères

La loi de compétence universelle : chronique d'une mort annoncée ?

(texte réduit)

DUDH

Article 10

Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

Au plus chaud de l’été, notre Parle­ment fédé­ral a voté la loi rela­tive aux viola­tions graves de droit huma­ni­taire qui abroge la loi dite de compé­tence univer­selle et en trans­fère les dispo­si­tions essen­tielles dans notre Code pénal. 

Désor­mais, il ne sera plus possible de dépo­ser plainte en Belgique que lorsque soit l’auteur présumé est belge ou réside en Belgique, soit la victime est belge ou réside sur notre terri­toire depuis au moins trois ans au moment des faits.

Cette limi­ta­tion des possi­bi­li­tés de dépo­ser plainte a été dénon­cée par certains comme un désen­ga­ge­ment de notre pays dans la lutte contre l’impunité des auteurs de graves viola­tions de droit huma­ni­taire. Je ne partage pas ce point de vue et je ne saurais trop insis­ter sur le fait que la défense des droits de l’homme est non seule­ment l’affaire de chaque État pris indi­vi­duel­le­ment mais aussi de la commu­nauté inter­na­tio­nale dans son ensemble. Ainsi, chaque État doit prendre les dispo­si­tions néces­saires pour pour­suivre sur son terri­toire l’auteur d’un crime contre l’Humanité tandis que la commu­nauté inter­na­tio­nale doit œuvrer pour la créa­tion d’une justice pénale internationale.

L’engagement de la Belgique à lutter contre les graves viola­tions du droit huma­ni­taire s’est traduit par l’adoption, le 16 juin 1993, à la quasi-unani­mité des membres du Parle­ment fédé­ral, de la loi rela­tive à la répres­sion des viola­tions graves du droit inter­na­tio­nal huma­ni­taire [NDLR : dite « de compé­tence univer­selle »]. (…) Il deve­nait ainsi possible à une victime, quelle que soit sa natio­na­lité, son lieu de rési­dence ou le lieu où le crime avait été commis, de dépo­ser plainte en Belgique. Le juge ne devait en outre pas se soucier de l’immunité dont pouvait se préva­loir l’auteur présumé. Quelle que soit la noblesse des senti­ments qui présida à l’adoption de pareille loi, force est de consta­ter, dix ans plus tard, qu’elle manquait singu­liè­re­ment de réalisme.

(…) On me rétor­quera qu’il faut (…) se concen­trer sur l’objectif de la loi, c’est-à-dire la lutte contre l’impunité de ces crimes qui concernent l’humanité tout entière. C’est oublier que nous faisons partie d’une commu­nauté inter­na­tio­nale qui œuvre, elle aussi, pour l’avènement d’une justice pénale inter­na­tio­nale. La créa­tion, sous l’égide des Nations Unies, des tribu­naux pénaux inter­na­tio­naux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie, consti­tuait déjà un signal clair qu’il n’était plus ques­tion de lais­ser impu­nies les viola­tions les plus graves du droit inter­na­tio­nal. La récente créa­tion de la Cour pénale inter­na­tio­nale est une nouvelle mani­fes­ta­tion, encore plus forte, de cette volonté même si l’on peut déplo­rer que certains États, pour­tant démo­cra­tiques et connus pour leur atta­che­ment à la défense de la personne humaine, aient préféré s’abstenir d’adhérer à son statut fondateur.

(…) à l’instar de ses voisins euro­péens, la Belgique entend donner la prio­rité aux efforts de la commu­nauté inter­na­tio­nale pour créer une véri­table justice internationale.

Pour la Belgique, comme pour tous les autres États qui se sont pronon­cés en faveur de la Cour pénale inter­na­tio­nale, il s’agissait d’adapter sa légis­la­tion interne afin de permettre une colla­bo­ra­tion étroite avec cette nouvelle juri­dic­tion inter­na­tio­nale. C’est chose faite avec la modi­fi­ca­tion de la loi inter­ve­nue le 1er avril dernier.

En effet, en même temps que le légis­la­teur aména­geait la loi pour éviter le dépôt de plaintes abusives, il prenait les dispo­si­tions néces­saires à l’instauration de cette colla­bo­ra­tion. Malheu­reu­se­ment, ces modi­fi­ca­tions n’ont pas mis fin au dépôt de plaintes fantai­sistes. (…) Cette dérive dans l’utilisation de la loi a aussi terni l’image de notre pays à l’étranger. Ainsi, ce qui pouvait passer pour une atti­tude coura­geuse de la part d’un petit pays a été perçu progres­si­ve­ment comme de l’arrogance. (…) Une nouvelle modi­fi­ca­tion de la loi était ainsi deve­nue inévitable.
Avec elle, notre pays n’a pas renoncé à la lutte contre l’impunité, bien au contraire. Mais, à l’instar de ses voisins euro­péens, la Belgique entend donner la prio­rité aux efforts de la commu­nauté inter­na­tio­nale pour créer une véri­table justice internationale.

Notre légis­la­tion s’inscrit dans cette logique et celle, plus large, de la lutte pour le respect des droits de l’homme.

Juillet 2003 - n°46

Publié dans Salut & Fraternité n° 46,  juillet-août-septembre 2003, p.1-2.

Hervé Persain
Président (2006-2011)

Pour une justice internationale plus contraignante

La Belgique a abrogé la loi de compétence universelle à laquelle s’est substitué un processus de construction d’une justice pénale internationale. Ce principe est vidé de sa substance puisque tous les pays n’y adhèrent pas, généralement ceux qui ne reconnaissent pas les droits humains ! C’est mon regret, même si j’admets le manque de réalisme de la loi précédente.

Les chefs d’État souhaitent ménager leurs partenaires économiques : dénoncer des actes contraires aux valeurs fondamentales peut porter atteinte aux enjeux économiques des relations internationales.
Quant à la question de l’immunité, Louis Michel pointe aussi son manque de réalisme. Et pourtant,  l’immunité absolue est un frein majeur au système pénal international. La loi doit être la même pour tous, et les dirigeants devraient s’y soumettre, et montrer l’exemple. Un élu doit d’autant plus respecter les  principes qu’il défend – c’est une question de légitimité – et rendre des comptes.

J’ai une certaine sympathie pour Louis Michel (il a montré son ferme attachement aux droits humains)  mais je suis déçu des limites de la justice pénale internationale. Elle devrait être plus contraignante. Je rêve d’un parlement mondial, avec une approche positive, où l’on puisse discuter de l’avenir de la planète et où chaque pays serait représenté. Cette culture de débat m’a fait penser à l’approche choisie préalablement à notre Congrès de 2014 sur l’école. Nous avons consulté la base de nos militants pour construire notre cadre de référence. C’était très motivant, tant par la rigueur de la réflexion que par le niveau de participation. C’était une vraie démarche d’expression démocratique et d’éducation permanente, et de conscientisation sur l’enjeu majeur de société que constitue l’enseignement.

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