• Malika Blach
    déléguée au service Solidarité

Sécurité sociale : histoire, principes et idéologie

Chère, inadap­tée aux réali­tés actuelles, syno­nyme d’assistanat : les argu­ments qui incitent au déman­tè­le­ment de la sécu­rité sociale fleu­rissent, tant dans les discus­sions privées qu’au sein des médias… Reve­nons sur les fonde­ments et enjeux des protec­tions sociales d’aujourd’hui.

Des assu­rances indi­vi­duelles à la sécu­rité sociale

Au XIXe siècle, les travailleurs sont soumis à des condi­tions de vie et de travail extrê­me­ment pénibles. Pour y faire face, ils ne peuvent comp­ter que sur eux-mêmes et quelques orga­ni­sa­tions de charité. Certains ouvriers parviennent à épar­gner indi­vi­duel­le­ment, au sein de caisses de secours mutuels. Ils sont toute­fois peu nombreux à pouvoir s’y affi­lier. Quand ils y arrivent, leur faible coti­sa­tion est bien insuf­fi­sante pour les proté­ger en cas de mala­die, vieillesse ou licen­cie­ment, autant de syno­nymes pour la perte sèche des reve­nus déjà très bas. Dès lors, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les orga­ni­sa­tions ouvrières (syndi­cats, coopé­ra­tives et mutuelles) se struc­turent en Belgique.

Ne pouvant igno­rer plus long­temps les misé­rables condi­tions de subsis­tance des travailleurs après la violente révolte de 1886, les diri­geants s’engagent sur la voie de (timides) réformes. Le système de protec­tion sociale qui se dessine alors repose sur l’encouragement à la prévoyance, la capi­ta­li­sa­tion : le travailleur est toujours respon­sable de son épargne mais des subsides sont accor­dés aux caisses diverses pour soute­nir leur effort.

(…) dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les orga­ni­sa­tions ouvrières (syndi­cats, coopé­ra­tives et mutuelles) se struc­turent en Belgique.

Petit à petit, les assu­rances se déve­loppent et certaines deviennent obli­ga­toires. Progres­si­ve­ment, mais pas natu­rel­le­ment ni faci­le­ment. En effet, les travailleurs luttent pour être repré­sen­tés poli­ti­que­ment et modi­fier les lois, comme les menta­li­tés : on retient notam­ment trois grèves géné­rales et des décen­nies de combat pour l’obtention du suffrage univer­sel. Cette conquête permet aux ouvriers de manda­ter, au Parle­ment, des défen­seurs des inté­rêts de leur classe. On comprend pour­quoi, en plus du rapport de force inter­na­tio­nal propre à la période, l’entre-deux-guerres est le théâtre de nombreux progrès sociaux : la ques­tion sociale est enfin trai­tée poli­ti­que­ment, en attestent les diffé­rents orga­nismes et mesures issus de cette époque (fonds natio­nal de crise, assu­rances pension, congés payés, …).

Pendant la guerre, un « projet d’accord de soli­da­rité sociale » est élaboré. Il prévoit de prendre, dès le retour à l’indépendance, « une série de mesures d’urgence propres à répa­rer les misères subies pendant l’occupation par la masse des travailleurs sala­riés. » De cet accord découle l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 instau­rant formel­le­ment la sécu­rité sociale des travailleurs.

Les congés payés résultent d’un long combat des travailleurs, tout comme l’assurance-maladie et les allo­ca­tions de chômage. CC-BY-NC-SA Flickr​.com – Matthieu Milliot

Sept piliers

1944 est donc la date-clé qui acte et fusionne, en un système, les avan­cées conquises par le passé, sous l’impulsion du mouve­ment ouvrier. Encou­ra­ger à la prévoyance s’avère insuf­fi­sant : il s’agit de rendre obli­ga­toires les assu­rances, d’opérer une rete­nue à la source et de centra­li­ser la percep­tion de ces coti­sa­tions au sein de l’Office Natio­nal de la Sécu­rité Sociale (ONSS). Concrè­te­ment, les soins de santé, les mala­dies profes­sion­nelles, les acci­dents de travail, les pensions, le chômage, les pres­ta­tions fami­liales, les congés annuels sont les sept secteurs couverts par ce système d’assurance collec­tive, fondé et géré conjoin­te­ment par les syndi­cats, le patro­nat et l’État. Son finan­ce­ment provient, quant à lui, de quatre sources majeures : les coti­sa­tions des travailleurs et des employeurs (pour plus de la moitié), le finan­ce­ment alter­na­tif (pour­cen­tage des recettes fiscales de la TVA, des accises et de l’impôt) et les subven­tions de l’État.

1944 est donc la date-clé (…) il s’agit de rendre obli­ga­toires les assu­rances, d’opérer une rete­nue à la source et de centra­li­ser la percep­tion de ces coti­sa­tions au sein de l’Office Natio­nal de la Sécu­rité Sociale (ONSS).

Sécu­rité sociale et valeurs laïques

Derrière cette orga­ni­sa­tion, se trouve un réel projet de société, que les laïques soutiennent : dans le rapport au Régent prépa­rant l’arrêté-loi1, on lit qu’il s’agit de « répar­tir plus juste­ment les fruits du travail commun […] déve­lop­per la sécu­rité sociale, sous­traire aussi complè­te­ment que possible aux craintes de la misère les hommes et les femmes labo­rieux. » Donner à chacun les possi­bi­li­tés maté­rielles de s’émanciper, en s’appuyant sur la soli­da­rité entre tous, selon ses capa­ci­tés et ses besoins, ce sont bien les valeurs portées par la sécu­rité sociale. Elle rompt avec un système indi­vi­dua­liste ou basé sur la charité, qui rime souvent avec pater­na­lisme et senti­ment de rede­va­bi­lité, empê­chant l’exercice du libre examen. Pour­tant, depuis la fin des années 1970, cette struc­ture soli­daire est atta­quée de plusieurs parts. Avec son nouveau parcours perma­nent En lutte. Histoires d’émancipation, le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège rappelle qu’il partage et défend ces valeurs de soli­da­rité et d’émancipation : « Accep­tera-t-on ce déman­tè­le­ment, sans résis­tance ? », inter­roge d’ailleurs la voix de Philippe Torre­ton à la fin de l’exposition. Nous posons la ques­tion pour construire des réponses, ensemble.


  1. Ce rapport expose les motifs, ambi­tions et objec­tifs du texte légis­la­tif adopté par le gouver­ne­ment belge à la fin de la seconde guerre mondiale. Van Acker (Achille), Rapport au Régent précé­dant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concer­nant la sécu­rité sociale des travailleurs, M.B. du 30 décembre 1944, p.1730.
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