• Claudine Mouvet
    Claudine Mouvet
    directrice du planning familial Louise Michel
Propos recueillis par Dorothy Bocken

Au planning Louise Michel, c'est la femme qui décide !

Louise Michel est un centre de planning familial, un lieu prévu pour aborder toutes les questions concernant la vie affective, relationnelle et sexuelle.

Dans le quartier Saint-Léonard, à Liège, l’équipe reçoit dans un cadre très chaleureux, en toute confidentialité et dans le total respect des convictions de chacun. De nombreux sujets peuvent y être discutés, tels que les relations amoureuses, la contraception, la grossesse – désirée ou non –, les infections sexuellement transmissibles, les relations familiales, etc.

Le planning propose par ailleurs des consultations médicales, sociales, psychologiques et juridiques. À l’instar du Groupe d’Action des Centres Extrahospitaliers pratiquant l’avortement (GACEHPA), dont il fait partie, il pratique l’avortement depuis 1981, date de sa création. C’était neuf ans avant le vote de la loi Lallemand-Michielsen, qui dépénalise alors la pratique de l’avortement après 19 ans de lutte acharnée. À l’époque, il est le deuxième centre à permettre aux femmes l’accès à l’avortement en Cité ardente. Aujourd’hui, l’histoire des plannings est intimement liée à l’action de ces groupes de femmes qui, dès l’année 1968, se sont regroupés à Liège pour fonder le premier mouvement féministe et s’engager dans les différentes luttes culturelles et sociopolitiques.


Entretien avec

Claudine Mouvet

Les plannings familiaux, un héritage féministe !

Salut et Frater­nité : Ces derniers mois, la presse a annoncé la fin de la distri­bu­tion des pilules contra­cep­tives et du lende­main dans les plan­nings fami­liaux. Louise Michel ferait partie des centres « déso­béis­sants » qui conti­nuent la distri­bu­tion de la pilule. Pouvez-vous nous expli­quer votre démarche ?

Clau­dine Mouvet  Je voudrais tout d’abord commen­cer par une mise au point : les plan­nings fami­liaux n’ont jamais eu le droit de déli­vrer la pilule. La loi ne l’a jamais prévu. Et nous avons toujours déso­béi. Nous ne sommes cepen­dant pas les seuls : les centres issus de la fédé­ra­tion laïque le font égale­ment. L’administration s’est derniè­re­ment conten­tée de rappe­ler les règles, ce qu’elle fait régu­liè­re­ment, qui prévoient que seuls les phar­ma­ciens délivrent des médi­ca­ments. Il est donc logique que les plan­nings ne puissent pas le faire. Mais nous y déro­geons. Pour­quoi ? Prenons l’exemple de la pilule du lende­main au sujet de laquelle nous devons nous deman­der deux choses : s’agit-il d’un médi­ca­ment dange­reux, et qui peut la déli­vrer ? La réponse à la première inter­ro­ga­tion est néga­tive, puisqu’elle est en vente libre en phar­ma­cie. Reste alors la ques­tion de la déli­vrance. Le phar­ma­cien n’est toute­fois pas un méde­cin : il ne connaît pas non plus l’état de santé de ses clientes et donc les contre-indi­ca­tions propres à chacune d’elles. De ce point de vue-là, ni le plan­ning ni le phar­ma­cien ne peuvent prédire si la personne court un risque en la prenant.

(…) les plan­nings fami­liaux n’ont jamais eu le droit de déli­vrer la pilule. La loi ne l’a jamais prévu. Et nous avons toujours désobéi.

S&F : En ce qui concerne la pilule contra­cep­tive, pour­quoi ne pas simple­ment renvoyer la patiente vers le phar­ma­cien ? Comment les plan­nings fonctionnent-ils ?

C.M. : À mon sens, nous fonc­tion­nons tous de la même manière, c’est-à-dire que la contra­cep­tion sera pres­crite par le méde­cin du plan­ning après une consul­ta­tion ou une IVG. Nous ne donnons pas de pilule sans qu’un dossier ne soit ouvert. Et nous suivons toujours l’avis du méde­cin. Les accueillants et le person­nel non médi­cal ne prennent jamais la respon­sa­bi­lité de la donner sans que ce ne soit inscrit dans le dossier médi­cal de la patiente. Certes, nous la déli­vrons sans ordon­nance. Mais s’il y a le moindre doute ou qu’il n’y a pas eu de suivi depuis long­temps, nous fixons d’abord un rendez-vous avec le médecin.

S&F : Qu’en est-il de la pilule du lende­main qui demande une réac­tion rapide ?

C.M. : Tous les centres de la fédé­ra­tion laïque conti­nuent sa distri­bu­tion. Notre conseil d’administration a égale­ment opté pour la déli­vrance sans aucun contrôle. Cepen­dant, nous la donnons unique­ment suite à une discus­sion confi­den­tielle avec les personnes deman­deuses. Par contre, se retrou­ver au comp­toir d’une phar­ma­cie et expli­quer pour­quoi le rapport sexuel n’était pas protégé, ou l’incident avec le préser­va­tif, ou encore quand a eu lieu le rapport en ques­tion n’est évidem­ment pas chose aisée. La discré­tion n’est pas assu­rée et les phar­ma­ciens n’ont par ailleurs pas toujours le temps pour cet enca­dre­ment systé­ma­tique. Or, il est primor­dial d’aborder ces ques­tions avec la patiente afin de propo­ser une contra­cep­tion plus régu­lière. C’est bien là notre rôle, même si nous ne pouvons jamais dire si notre conseil sera suivi. Mais il aura à tout le moins été donné.

S&F : Se préoc­cu­per d’abord du choix des femmes, c’est inévi­ta­ble­ment l’histoire des plannings.

C.M. : Bien sûr ! Ce sont les fémi­nistes qui ont créé les premiers centres. Ils fonc­tion­naient à l’époque sans subsides et se sont profes­sion­na­li­sés au fil du temps. Histo­ri­que­ment, notre centre a d’abord été créé pour prati­quer l’avortement. Il a ensuite fait une demande d’agrément comme centre de plan­ning fami­lial. Notons qu’à l’heure actuelle, nous voyons une augmen­ta­tion signi­fi­ca­tive de la préca­rité. En 2015, les chiffres sont clairs au regard des IVG : nous n’avons jamais eu autant de personnes qui n’étaient pas en ordre de mutuelle.

(…) à l’heure actuelle, nous voyons une augmen­ta­tion signi­fi­ca­tive de la préca­rité. En 2015, les chiffres sont clairs au regard des IVG : nous n’avons jamais eu autant de personnes qui n’étaient pas en ordre de mutuelle.

S&F : Comment cela se passe-t-il dans ce cas ?

C.M. : Depuis 2003, il existe une conven­tion entre l’INAMI et les centres extra­hos­pi­ta­liers pour le paie­ment forfai­taire et global de l’IVG et de son enca­dre­ment médico-psycho­so­cial. Elle prévoit le paie­ment direct de l’IVG par les mutuelles aux centres extra­hos­pi­ta­liers. Toute demande sera suivie, que la personne soit couverte ou non. Les inter­ven­tions seront alors prises en charge par des parte­naires tels que le CPAS, la Croix-Rouge ou encore FEDASIL. L’idée à rete­nir est que l’argent ne doit jamais être un frein. Nous défen­dons l’accès aux soins et le droit au diag­nos­tic pour tous. Et lorsque rien n’est possible, nous nous appuyons sur la soli­da­rité, c’est-à-dire qu’il y a suffi­sam­ment de personnes qui paient pour compen­ser celles qui n’ont pas les moyens !

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