-
Pierre-Arnaud Perrouty,
directeur de la Cellule Europe et International du Centre d’Action Laïque
Une campagne pour en finir avec le délit de blasphème
Depuis le début de l’année 2015, pas moins de quatre blogueurs ont été tués en pleine rue à l’arme blanche au Bangladesh. Leur crime ? Être athées, défendre la laïcité, la liberté de conscience et d’expression et, surtout, avoir posté en ligne des articles sur tous ces sujets.
Ils auraient pu être poursuivis en justice – et très probablement condamnés – pour blasphème, mais la vindicte populaire aura devancé l’injustice. De ces assassinats, l’Union européenne (UE) s’est mollement indignée, tout comme des cas où des athées se trouvent poursuivis et condamnés au Pakistan, en Arabie saoudite, en Égypte ou en Mauritanie.
Sur papier, la position de l’Union est pourtant claire : elle défend la liberté d’expression et s’oppose aux lois qui pénalisent le blasphème. La liberté d’expression figure parmi les libertés fondamentales inscrites dans ses textes internes et dans les conventions internationales auxquelles tous ses États membres ont adhéré.
Sur papier, la position de l’Union est pourtant claire : elle défend la liberté d’expression et s’oppose aux lois qui pénalisent le blasphème. La liberté d’expression figure parmi les libertés fondamentales inscrites dans ses textes internes et dans les conventions internationales auxquelles tous ses États membres ont adhéré. Elle l’a encore affirmé dans deux recommandations, l’une adoptée en 2014 sur la liberté d’expression et l’autre en 2013 sur la liberté de conscience et de religion. Dans ce dernier texte, l’UE rappelle que le droit d’avoir une religion n’interdit pas que cette religion puisse être moquée ou critiquée. Elle souligne que les lois qui pénalisent le blasphème peuvent avoir un effet dissuasif sur la liberté d’expression et recommande explicitement de les abolir. Or si l’UE est prompte à dénoncer ce qui se passe en dehors de ses frontières, elle est un peu moins regardante quand il s’agit de ses propres États membres.
Le blasphème est encore sanctionné dans un certain nombre de pays européens, dont la Grèce, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne et l’Irlande. Même en France où, par la magie d’une disposition locale et anachronique contenue dans le code pénal d’Alsace-Moselle (terre concordataire qui n’est pas soumise à la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905), Charlie Hebdo avait pu être poursuivi en 2013 pour blasphème par la Ligue de défense des musulmans, avant d’être relaxé. En Grèce en 2012, sur plainte d’un député d’Aube Dorée, Philppos Loizos a vu débarquer la police chez lui et saisir son ordinateur pour s’être moqué d’un pope sur Facebook. Poursuivi pour blasphème, il a été condamné à 10 mois de prison avec sursis en 2014. Même lorsque ces lois ne sont pas ou peu appliquées, elles créent un climat qui peut mener à la censure, voire à l’autocensure. On ne compte plus les protestations devant des théâtres, des galeries ou des cinémas qui présentent des œuvres dénoncées comme offensantes pour les sentiments religieux de certains. Des prestations artistiques sont d’ailleurs régulièrement annulées en Europe sous la pression d’extrémistes religieux de tous poils.
Le blasphème est encore sanctionné dans un certain nombre de pays européens (…) Même lorsque ces lois ne sont pas ou peu appliquées, elles créent un climat qui peut mener à la censure, voire à l’autocensure. On ne compte plus les protestations devant des théâtres, des galeries ou des cinémas qui présentent des œuvres dénoncées comme offensantes pour les sentiments religieux de certains.
Dans ce contexte attisé et dramatisé par les attentats de Paris en janvier 2015, la Fédération Humaniste Européenne (FHE) et l’International Humanist and Ethical Union ont lancé à la fin du mois de janvier une campagne internationale pour abolir les lois qui sanctionnent le blasphème1. Cette campagne est soutenue par près de 200 organisations de par le monde. Depuis janvier dernier, la FHE s’est concentrée sur deux aspects de la campagne. D’une part, rencontrer les autorités européennes au plus haut niveau pour pointer l’incohérence entre la politique extérieure de l’Union et la réalité des législations internes de certains de ses États membres. Car au-delà de la question de principe, il y va aussi de la crédibilité de l’Union : il est en effet difficile de demander à des pays tiers de supprimer ces lois tant qu’elles existent encore au sein même de l’Union. La FHE a soulevé la question lors de réunions au parlement européen, lors d’un entretien avec Frans Timmermans, premier Vice-Président de la Commission européenne en charge des droits fondamentaux et avec la présidence lettonne du Conseil de l’UE. D’autre part, alerter les autorités européennes, et le Service européen d’action extérieure en particulier, sur des cas individuels de libres penseurs en danger et sous le coup d’accusations de blasphème : notamment Raif Badawi en Arabie saoudite ou les blogueurs au Bangladesh qui figurent sur la liste macabre de 80 personnes à éliminer établie par un parti islamiste.
Dans un futur proche, la FHE entend élargir la base d’organisations partenaires de la campagne en contactant notamment des organisations de journalistes, d’artistes mais aussi des organisations religieuses progressistes. Avec l’objectif avoué de maintenir la pression sur les États membres et les autorités européennes pour enfin reléguer aux livres d’Histoire ces lois qui relèvent d’un autre âge et affaiblissent le projet européen de se poser en champion des droits fondamentaux.
< Retour au sommaire