• Florence Wastelain
    Florence Wastelain
    secrétaire de la Raison de Spa
  • Philippe Draize
    Philippe Draize
    président de l’Action Laïque et Libre Pensée de Huy et sa région (ALPHER)
Propos recueillis par Dorothy Bocken

La libre pensée, une centenaire à cultiver

Si les actions du mouvement laïque visent depuis tout temps à favoriser le libre choix de l’individu en combattant l’endoctrinement du prêt-à-penser, elles puisent incontestablement leurs racines dans la libre pensée. Ce concept trouve son inspiration au sein de plusieurs évènements, dont le plus connu est sans nul doute la Révolution française qui marque, en 1789, un tournant important dans la reconnaissance de la liberté, de la démocratie et de l’humanisme. Ce sera le point de départ d’une nouvelle pensée sociale : désormais, tous les hommes sont libres, égaux et unis par la fraternité.

En Belgique, c’est dans un climat d’affrontements permanents entre catholiques et libéraux que se crée à Bruxelles, en août 1854, la première société de Libre Pensée belge nommée « l’Affranchissement ». Différentes associations se succèderont ensuite?: Liège en 1864, Verviers en 1869, Huy en 1871, Spa en 1876, Seraing en 1879 et Flémalle en 1888. Ces cercles poursuivent toujours les mêmes objectifs : l’organisation de cérémonies civiles dont les funérailles, l’amélioration de la condition des ouvriers, l’éducation des femmes, l’extension des droits électoraux et la création d’une école laïque.

À travers ces préoccupations, les libres penseurs ont ainsi œuvré à la création d’une société plus tolérante, plus respectueuse de la volonté de chaque individu.

Nous avons rencontré les deux dernières associations de Libre Pensée en province de Liège : Action Laïque et Libre Pensée de Huy et sa région (ALPHER) et le Cercle de Libre Pensée « La Raison » de Spa.


Entretien avec

Florence Wastelain

Philippe Draize

Associations de libre pensée : des valeurs toujours d’actualité

Salut & Frater­nité : En 140 ans, comment les combats des cercles de Libres penseurs ont-ils évolué ?

La Raison de Spa : Certains combats sont restés d’actualité. Ainsi, le problème de local adapté aux céré­mo­nies laïques se pose encore aujourd’hui. En son absence, nous conti­nuons à dépendre du bon vouloir des auto­ri­tés commu­nales ou cultu­relles. La défense de l’enseignement offi­ciel néces­site toujours, face aux multiples tenta­tives de récu­pé­ra­tion et de désta­bi­li­sa­tion de l’enseignement catho­lique, une vigi­lance de tous les instants. Certes, d’autres droits sont main­te­nant acquis, mais notre rôle est de conti­nuer à éclai­rer les consciences et de rester vigi­lants. Nous essayons prin­ci­pa­le­ment de faire passer ce message aux jeunes au moyen d’activités récréa­tives et de la Fête de la jeunesse laïque. Il s’agit égale­ment de leur faire décou­vrir un autre monde que celui qu’ils croient connaître, les amener à réflé­chir à nos valeurs, prin­ci­pa­le­ment la tolé­rance, essen­tielle dans notre société actuelle. Nous propo­sons aussi des confé­rences-débats autour de thèmes liés à l’actualité, afin d’ouvrir les esprits à d’autres modes de pensée.

ALPHER : C’est en 1871 que fut fondée la première asso­cia­tion hutoise de libre pensée : le Cercle ratio­na­liste La Libre Pensée. Son programme consis­tait en l’organisation de confé­rences et de cours pour les travailleurs souhai­tant présen­ter l’examen de capa­cité pour voter, l’aide à l’organisation des enter­re­ments civils, le soutien de ses affi­liés qui voulaient se sous­traire au joug de l’Église catho­lique en faisant respec­ter leurs dernières volon­tés, et donc avoir droit à des funé­railles non reli­gieuses et une sépul­ture décente. Ces combats sont restés les mêmes (ce n’est que depuis le 1er février 2010 qu’un décret garan­tit le respect des volon­tés de chacun tant pour les sépul­tures que pour les céré­mo­nies, y compris pour les indi­gents). Ils sont intem­po­rels, puisque la libre pensée est une atti­tude qui consiste à refu­ser tout dogma­tisme reli­gieux, philo­so­phique ou autre, et à se fier prin­ci­pa­le­ment à ses propres expé­riences et à la raison pour penser ou juger. Au fil des décen­nies, son programme va se struc­tu­rer sur quatre grands prin­cipes : la laïcité (la sépa­ra­tion des Églises et de l’État), la lutte contre les dogmes, l’obscurantisme, les fonda­men­ta­lismes et toutes les formes d’intégrisme, le refus des guerres par le paci­fisme et l’internationalisme et le refus de toute oppres­sion écono­mique et sociale.

S&F : En janvier 2015, de tragiques événe­ments ont tenté d’assassiner la liberté d’expression et de pensée. Quel rôle votre asso­cia­tion peut-elle jouer pour combattre ces extrémismes ?

La Raison de Spa : La grande menace actuelle est le repli sur soi de notre société, l’affrontement reli­gieux. Notre asso­cia­tion est implan­tée dans une ville où les problèmes de coha­bi­ta­tion sont peu fréquents. Cepen­dant, il y a un extré­misme anti-musul­man latent. Une fois encore, nous essayons de faire passer notre message de tolé­rance à travers les jeunes. Comme le disait un de nos anciens prési­dents, à travers nos diffé­rences, nous appli­quons toujours le prin­cipe du « respect sour­cilleux des autres et de soi-même ». C’est toujours dans cette voie que nous essayons de conduire notre cercle.

ALPHER : La première chose est évidem­ment de redire notre devoir de vigi­lance et d’observation atten­tive. Nous nous offus­quons volon­tiers de la présence de crèches de Noël dans certaines enceintes parle­men­taires. Nous devons certes rappe­ler la néces­sité de garan­tir la neutra­lité des espaces publics, mais sans l’étroitesse d’esprit qui rend la critique cari­ca­tu­rale et stérile. Combien de laïques se sont inquié­tés, par contre, le 20 septembre 2012, lorsqu’a été rendue publique une décla­ra­tion commune de respon­sables de l’Union euro­péenne, de l’Organisation de la Confé­rence Isla­mique, de la Ligue arabe et de l’Union afri­caine qui, tout en recon­nais­sant la liberté d’expression, insis­tait sur l’importance de respec­ter tous les prophètes. Ce texte encou­rage clai­re­ment les pour­suites contre les personnes consi­dé­rées comme coupables du délit de blasphème.

Nous devons remettre la citoyen­neté en mouve­ment, oser sortir des sché­mas actuels, retrou­ver des réflexes humains et flui­di­fier, dans la société, ce qui est aujourd’hui immo­bile et enkysté par des logiques écono­miques cyniques (qui sont aussi l’œuvre d’êtres humains).

Un fais­ceau de stra­té­gies doit être mis en œuvre, conçu, réflé­chi, débattu et orga­nisé avec l’ensemble des acteurs locaux et touchant tous les lieux de socia­li­sa­tion, de la petite enfance au grand âge. Nous devons remettre la citoyen­neté en mouve­ment, oser sortir des sché­mas actuels, retrou­ver des réflexes humains et flui­di­fier, dans la société, ce qui est aujourd’hui immo­bile et enkysté par des logiques écono­miques cyniques (qui sont aussi l’œuvre d’êtres humains). En un mot, avoir l’audace de l’utopie et de la créa­ti­vité positive.

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