• Patrick Charlier
    Patrick Charlier
    directeur f.f. du Centre interfédéral pour l’égalité des chances
Propos recueillis par Charlotte Collot

Le blasphème, une affaire strictement religieuse

Patrick Charlier est directeur faisant fonction du Centre interfédéral pour l’égalité des chances. Juriste de formation, il revient sur le travail du Centre et la législation en la matière.


Salut & Fraternité : En Belgique, il n’existe pas de loi réprimant le blasphème. Cependant, recevez-vous des plaintes qui vont dans ce sens au Centre pour l’égalité des chances ?

Patrick Charlier : Nous ne recevons pas de plaintes pour blasphème en tant que tel. Mais nous recevons des signalements par rapport à des personnes qui ont émis des critiques vis-à-vis d’une religion, d’une structure religieuse. Notre point de vue est clair. Tout ce qui relève de la critique de la religion ou de l’institution religieuse n’est pas contraire à la législation et ne constitue pas une incitation à la haine, la violence ou la discrimination. Nous rappelons également les dispositions de la Cour européenne des droits de l’homme, qui précisent que la liberté d’expression s’applique aussi aux idées qui heurtent, choquent et inquiètent. Nous veillons également à éviter l’instrumentalisation de la loi anti-discrimination qui permettrait de faire entrer une forme de reconnaissance du blasphème.

S&F : Qu’entendez-vous exactement par notion de blasphème, et qu’entraîne-t-elle ?

P.C : Je la traduis comme étant une insulte, un mépris de la religion. Dans ce contexte, critiquer celle-ci, sa doctrine, ses institutions, peut dès lors entraîner une sanction. Cette dernière devrait rester de nature religieuse (l’exclusion, par exemple). Le blasphème ne s’adresserait qu’aux personnes qui sont membres de cette communauté religieuse. La sanction liée au blasphème ne devrait en aucun cas aller à l’encontre ni des droits fondamentaux, ni des prescrits du code civil ou pénal qui s’appliquent à tout le monde (et donc aussi aux groupes religieux).

Le blasphème ne s’adresserait qu’aux personnes qui sont membres de cette communauté religieuse.

S&F : Malgré l’absence de loi réprimant le blasphème, certains articles du code pénal1 peuvent sanctionner les outrages aux cultes, à leurs ministres et à leurs objets (143, 144, 145). Ceux-ci ne permettent-ils pas d’une manière indirecte de punir le blasphème ?

P.C. : Je n’ai pas connaissance de cas où les articles 143, 144 et 145 ont été appliqués. La probabilité qu’une plainte basée sur ces articles soit classée sans suite est très importante. Cela dépend de la nature des faits évidemment (il y a une différence majeure entre un acte contestataire pacifique et une agression violente) ! Nombreux articles du code pénal sont tombés en désuétude et sont le résultat de l’histoire pénale belge. Parmi les articles ayant une dimension religieuse, seuls quelques-uns sont effectivement appliqués, par exemple la protection des sépultures, monuments ou édifices publics.

S&F : Le caractère anti-religieux d’un fait peut-il néanmoins constituer une circonstance aggravante ?

P.C. : Rappelons que les circonstances aggravantes sont des dispositions légales qu’il faut distinguer des articles du code pénal. Pour établir des circonstances aggravantes, il faut d’abord une infraction au code pénal. Celles-ci ne seront ensuite envisageables que si l’infraction est commise avec un mobile dit « abject », c’est-à-dire l’hostilité, la haine ou le mépris.
Les circonstances aggravantes sont applicables à des faits lourds (attentat à la pudeur et viol, non-assistance à personne en danger, harcèlement, incendie, meurtre, coups et blessures, etc.). Des cas concrets comme des dégradations de mosquées ou de synagogues relèvent d’une dimension liée à la circonstance aggravante, s’il est démontré que le choix du lieu traduit la haine, le mépris ou l’hostilité à l’égard de la communauté religieuse qui en est victime.


  1. L’article 143 – Ceux qui, par des troubles ou des désordres, auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte qui se pratiquent dans un lieu destiné ou servant habituellement au culte ou dans les cérémonies publiques de ce culte, seront punis d’un emprisonnement de 8 jours à 6 mois et d’une amende de 26 à 500 francs.

    L’article 144 – Toute personne qui, par des faits, paroles, gestes ou menaces, aura outragé les objets d’un culte, soit dans les lieux destinés ou servant habituellement à son exercice, soit dans des cérémonies publiques de ce culte, sera punie d’un emprisonnement de 15 jours à 6 mois et d’une amende de 26 à 500 francs.

    L’article 145 – Sera puni des mêmes peines celui qui, par faits paroles, gestes ou menaces, aura outragé le ministre d’un culte, dans l’exercice de son ministère.

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