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Ludo Bettens,
directeur de l’Institut d’Histoire Ouvrière, économique et Sociale
L'IHOES, une réputation internationale
Fondé en 1979, l’Institut d’Histoire Ouvrière, économique et Sociale (IHOES) est un centre d’archives privées et un service d’éducation permanente reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il collecte, conserve et met à disposition d’un large public tous les documents relatifs à l’histoire des travailleurs, aux structures qu’ils ont mises en place pour défendre leurs droits (syndicats, coopératives, mutualités) et aux mouvements sociaux, politiques, économiques et culturels auxquels ils se sont associés (résistance, pacifisme, féminisme, altermondialisme…). Sa situation en bord de Meuse, en plein cœur du bassin sidérurgique liégeois, est donc particulièrement symbolique : Seraing est non seulement l’un des centres névralgiques de la révolution industrielle en Belgique, mais aussi un témoin privilégié des luttes menées en faveur de l’émancipation des travailleurs.
Les collections de l’IHOES regroupent un large panel de supports documentaires (archives proprement dites, ouvrages, périodiques, affiches, photographies, documents audiovisuels, objets…). Si elles sont accessibles à tous, force est de constater que l’Institut s’est taillé une solide réputation dans les milieux académiques y compris au niveau international. De nombreuses demandes proviennent également d’institutions scientifiques et culturelles (centres d’archives ou de documentation, musées), mais aussi du monde associatif (syndicats, mutualités, associations d’éducation permanente). Ludo Bettens, son directeur, a répondu à nos questions.
Ludo Bettens
L’ihoes, partenaire privilégié de l’élaboration du parcours
Salut & Fraternité : Le parcours Entre Galeries et Forges. Histoires d’une émancipation ouvrira bientôt ses portes à La Cité Miroir. Quel a été votre apport ?
Ludo Bettens : L’IHOES est associé depuis de nombreuses années à la mise en place de ce parcours. Notre collaboration a pris jusqu’à présent diverses formes : nous avons tout d’abord mis une partie de nos collections à disposition pour les recherches. Nos archives devraient également être mises à contribution pour l’illustration du parcours et du catalogue. En 2010, nous avons aussi mené un important travail de recherche iconographique auprès d’une trentaine de centres d’archives et musées ainsi que de nombreux organismes audiovisuels. Il s’agissait d’identifier des documents (photos, affiches, ouvrages, films…) susceptibles d’illustrer les diverses luttes sociales et les principales avancées qu’elles ont permis d’engranger, telle que la sécurité sociale et ses diverses branches.
S&F : Vous travaillez également à la rédaction d’un ouvrage sur l’histoire sociale, complémentaire au parcours. Comment mettre en avant la mémoire collective et faire le lien entre passé et présent, tout en attirant l’attention des plus jeunes ?
L.B. : Pour rappel, nous sommes reconnus par la Fédération Wallonie-Bruxelles en tant que service d’éducation permanente. Dans ce cadre, nous publions chaque année une étude et quinze analyses, téléchargeables sur le site de l’Institut. De notre point de vue, le passé constitue un extraordinaire outil d’analyse et de compréhension de la société d’aujourd’hui. La mise en perspective historique est à la base même de notre travail d’éducation permanente. Nous constatons régulièrement que pour la plupart des gens (et particulièrement pour les jeunes), notre système social, l’un des meilleurs au monde, est considéré comme une évidence, voire même comme un droit définitivement acquis. Il est donc important de rappeler qu’il est le fruit d’un long combat ouvrier et citoyen, d’un processus rythmé par de multiples avancées et reculs, de remises en question… Il s’agit là de faire comprendre que ce système n’est pas immuable, qu’il convient de se battre pour le maintenir et pour le faire progresser encore, car aujourd’hui l’injustice sociale est loin d’avoir disparu ! L’ouvrage dont nous nous occupons présentera donc une analyse, véritable mise en perspective historique et scientifique, de la période envisagée dans le parcours et sera complémentaire à celui-ci.
(…) pour la plupart des gens (et particulièrement pour les jeunes), notre système social, l’un des meilleurs au monde, est considéré comme une évidence, voire même comme un droit définitivement acquis. Il est donc important de rappeler qu’il est le fruit d’un long combat ouvrier et citoyen, d’un processus rythmé par de multiples avancées et reculs, de remises en question…
S&F : Dans le contexte de crise et d’austérité actuel, envisagez-vous à travers cet ouvrage de mettre en avant la force des actions collectives ?
L.B. : La force des actions collectives sera par définition au centre de cette publication?! C’est elle qui tout au long de l’histoire de la Belgique, a été le principal moteur des avancées sociales. N’oublions pas que ce sont les émeutes de 1886 qui ont poussé les élites à prendre en considération la question sociale. Alors que la condition catastrophique des ouvriers était connue depuis longtemps des classes dirigeantes, il a fallu cet électrochoc pour les amener à prendre une série de mesures sociales. C’est d’ailleurs pourquoi aux termes « acquis sociaux » en usage, je préfère ceux de « conquêtes sociales ». L’expression est porteuse de cette notion de lutte?; elle rappelle aussi que rien n’est jamais définitif… et qu’il est donc essentiel de rester vigilant, de continuer à se battre contre toute remise en question des droits sociaux. Il est d’autant plus indispensable d’adresser ce message à l’heure où nous connaissons une période d’austérité et que, aujourd’hui comme hier, le secteur social est l’un des premiers où l’on réalise des économies… C’était l’objet de la loi unique en 1960 et du Plan global de 1993, pour ne citer que deux exemples. À chaque fois, des voix se sont élevées pour rappeler la primauté de l’humain sur l’économique. Bien sûr, au cours de l’Histoire, les mobilisations en faveur du progrès social ont connu des résultats contrastés : les mouvements n’ont pas tous été couronnés de succès. Mais ils ont à chaque fois prouvé la détermination de la population. Et mis en évidence sa solidarité?! Même si la société est aujourd’hui plus individualiste qu’hier, cette solidarité n’a pas disparu : au niveau social, elle prend la forme d’innombrables initiatives citoyennes (ex. : le mouvement des indignés, maisons médicales, groupes d’achats communs [GAC]), services d’échange local, NEW B …). Et plus loin de nous, les révoltes arabes et ukrainiennes, même s’il n’est pas encore assuré qu’elles déboucheront sur des progrès en matière de démocratie et d’égalité entre les êtres ont en tout cas le mérite de rappeler que la volonté du peuple est souveraine.
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