• Claudine Mouvet
    Claudine Mouvet
    directrice du planning familial Louise Michel

IVG : il est temps de déculpabiliser

Fédéré au Centre d’Action Laïque de la Province de Liège, le Centre de Planning Familial Louise Michel, créé il y a un peu plus de 30 ans, est l’un des quatre centres extra hospitaliers pratiquant l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) dans notre province… En 2011, 374 IVG ont été pratiquées au sein de ce planning familial.

Nous avons rencontré sa directrice, Claudine Mouvet. Psychologue de formation et militante très active, elle travaille au planning depuis ses débuts et coordonne également le GACEHPA (Groupe d’Action des Centres Extra Hospitaliers Pratiquant l’Avortement). En prélude à la manifestation du 24 mars dernier, elle nous rappelle que l’avortement, c’est le droit des femmes à disposer de leur corps, et que ce droit n’a pas à être soumis à de bonnes ou de mauvaises raisons.


Entretien avec

Claudine Mouvet

Une révision de la loi, une porte ouverte aux détracteurs de l’IVG

Salut & Frater­nité : Quels étaient les enjeux réels de la mani­fes­ta­tion du 24 mars ?

Clau­dine Mouvet : Voilà main­te­nant deux ans que le mouve­ment Pro-vie, que nous appe­lons « anti-choix », se mobi­lise pendant le mois de mars contre l’avortement. À chaque fois, nous avons réagi. Mais l’année dernière, nous nous sommes dit qu’il fallait arrê­ter de se conten­ter de seule­ment réagir. Nous avons dès lors décidé d’organiser une mani­fes­ta­tion aux alen­tours de la date d’anniversaire de la loi. Pour rappel, c’est le 3 avril 1990 que le Parle­ment vote la loi Lalle­mand-Michiel­sen dépé­na­li­sant partiel­le­ment l’interruption volon­taire de gros­sesse. Cette mani­fes­ta­tion est essen­tielle pour rappe­ler que l’avortement est un droit acquis qui résulte d’un long combat. Il y a encore, en Europe, quatre pays où l’avortement est illé­gal : Malte, Chypre, la Pologne et l’Irlande. Et dans le cas de la Pologne, il s’agit là d’un pays où l’avortement était auto­risé dans le passé. Dans la consti­tu­tion hongroise, il est stipulé que la vie humaine commence dès la concep­tion… En Belgique, certaines personnes espèrent obte­nir que l’on accorde une exis­tence juri­dique au fœtus. Aux États-Unis, le Président Obama, dans sa loi sur les soins de santé, a dû s’engager à ce que les frais inhé­rents à une IVG ne soient jamais rembour­sés… En France, on a coupé certains crédits à des hôpi­taux prati­quant l’IVG… L’enjeu de la mani­fes­ta­tion était donc de rappe­ler que l’avortement est un droit acquis mais fragile.

S&F : Pensez-vous qu’il soit encore facile aujourd’hui de mobi­li­ser les citoyens autour du droit à l’avortement ?

C.M. : Beau­coup de personnes ont en tête que la loi est passée et qu’il s’agit par consé­quent d’un problème défi­ni­ti­ve­ment réglé. Mais d’une manière géné­rale, quel que soit le thème de la mani­fes­ta­tion, il devient diffi­cile de mobi­li­ser les gens. Ceci dit, le fait que les « anti-choix » se mobi­lisent en nombre peut jouer en notre faveur et faire en sorte que le public se sente concerné. Il serait dommage d’être en mino­rité face à eux…

S&F : Le droit à l’avortement en Belgique est-il menacé ?

C.M. : Dans l’état actuel des choses, au niveau juri­dique, le droit à l’avortement n’est pas menacé. Pour faire chan­ger une loi, il faut une majo­rité qu’il ne serait pas facile de rassem­bler. Le GACEHPA est d’ailleurs « opposé » aux modi­fi­ca­tions de la loi parce qu’une révi­sion de la loi, pour étendre notam­ment l’accès à l’IVG au-delà des 14 semaines, serait la porte ouverte égale­ment aux détrac­teurs de l’IVG. Il est donc plus prudent de lais­ser les choses comme elles sont…

S&F : De votre expé­rience, comment ce droit est-il vécu ?

C.M. : L’avortement reste quelque chose de très culpa­bi­li­sant et de très drama­tisé. Énor­mé­ment de femmes viennent nous trou­ver en disant qu’elles avaient toujours pensé ne jamais avoir recours à l’IVG. Lorsque l’on discute avec des jeunes filles, une de leurs premières réac­tions est qu’elles réservent l’avortement à des cas extrêmes. On constate qu’il y a toute une série de repré­sen­ta­tions par rapport à l’avortement : « c’est quelque chose de drama­tique » ; « il faut un suivi psycho­lo­gique après… » ; « c’est quelque chose dont la femme ne se remet­tra jamais… ». L’une des reven­di­ca­tions de la mani­fes­ta­tion est d’ailleurs d’arriver à décul­pa­bi­li­ser la femme. C’est là notam­ment l’un des rôles d’un centre de planning.

S&F : L’accès à l’avortement est-il un droit « absolu » pour toutes les femmes ?

C.M.: Un arrêt de la Cour d’arbitrage est très clair par rapport à cela : c’est le droit de la femme, et c’est la femme toute seule qui décide ! Qu’elle soit majeure ou mineure, ni les parents, ni le compa­gnon n’ont d’autorisation à donner. Il est toute­fois clair que, dans le cas d’une mineure, nous préfé­rons qu’elle soit accom­pa­gnée. Par ailleurs, en accueil IVG, quel que soit l’âge de la femme, nous posons toujours la ques­tion de savoir si une personne de son entou­rage est au courant de sa démarche.

S&F : Finan­ciè­re­ment, l’avortement est-il acces­sible à toutes les femmes, toutes classes sociales confondues ?

C.M.: Le coût total d’un avor­te­ment, pour la société, est d’un peu plus de 420 €. Pour les personnes en ordre de mutuelle, le coût réel est de 2 X 1,67 €, soit 3,34 €, ce qui démontre que l’on a bien raison de se battre pour la sécu­rité sociale… Main­te­nant, il faut savoir que 85 % des avor­te­ments qui se font en Belgique, se font en milieu extra hospi­ta­lier, c’est-à-dire dans des centres tels que le nôtre. Ces centres sont donc regrou­pés au sein d’une struc­ture, le GACEHPA, dont le rôle est de fixer toute une série de normes de fonc­tion­ne­ment. Par exemple, une de ces normes stipule que le prix maxi­mum que l’on peut deman­der à une personne qui ne serait pas en ordre de couver­ture sociale est de 200 €. Mais ce prix est toujours négo­ciable. Nous sommes ici dans un système de service. Nous ne faisons pas de la charité et nous insis­tons pour que les personnes payent au moins quelque chose. Pour les personnes n’étant pas en ordre de mutuelle, et ne possé­dant pas ou peu de moyens, cela peut parfois être 1 €.

S&F : Le droit à l’avortement est le fruit d’un long combat. Tout le monde en est-il conscient et notam­ment les jeunes ?

C.M. : Non. Une grande partie du public n’a pas conscience du combat qu’il a fallu mener. Peut-être ces personnes se rendent-elles compte tout au plus qu’il s’agit d’un droit mais au même titre que n’importe quel autre droit. Mais nous tenons à rappe­ler qu’au-delà du droit, c’est avant tout une conquête !

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