• Gauthier De Wulf
    Gauthier De Wulf
    secrétaire politique du Forum des jeunes

L’apolitisme des jeunes n’est pas encore une réalité

Porte-parole des 16-30 ans, le Forum des jeunes, instauré par un décret de la Fédération Wallonie-Bruxelles, a récemment rencontré un millier de jeunes autour de la question : « Que signifie être jeune en 2023 ? » Parmi les thématiques abordées, la politique !


Dans les prises de parole des jeunes, certaines se détachent comme autant d’avertissements clairs au monde politique. Deux brèves citations permettront de se faire une idée sur la question : « Les politiciens : des menteurs, tous des opportunistes » (M., 16 ans) ; et « Il est temps de prendre de vraies décisions qui pourront vraiment impacter notre avenir. Parce que j’ai l’impression qu’ils sont complètement déconnectés du réel » (A., 23 ans).

Si on prend ces déclarations au pied de la lettre, on pourrait dire qu’elles reflètent une forme de rejet de la politique institutionnelle. Notons qu’elles auraient pu aussi être prononcées par des adultes. Cependant, si les jeunes n’aiment peut-être pas la politique telle qu’elle se fait aujourd’hui, parler d’apolitisme est très exagéré pour au moins deux raisons.

D’abord, critiquer les politiques, même vertement, ce n’est de l’apolitisme que si cela conduit au retrait ou au désintérêt. Or la position des jeunes sur cette question est plutôt de l’ordre du paradoxe. D’un côté, les politiques sont critiqués pour deux raisons fondamentales : parce qu’ils ne penseraient qu’à leurs intérêts personnels ou électoraux ; parce qu’ils seraient déconnectés de la vie quotidienne de la population. Toutefois, d’un autre côté, les responsables politiques sont appelés à agir concrètement, à faire évoluer la société dans un sens positif. Rien qu’à ce niveau, les jeunes ne sont pas apolitiques, au contraire : ils et elles veulent des hommes et des femmes politiques responsables, intègres et créatifs. L’intérêt pour la politique est toujours là, mais si on veut éviter qu’il se dissipe et que la démocratie sombre, il serait approprié de ne plus décevoir trop longtemps cet intérêt. En effet, devant la polycrise qui ébranle la société sur les plans climatique, géopolitique, énergétique…, les jeunes ont besoin de décisions politiques ambitieuses, même s’ils sont bien conscients que les politiques ne pratiquent pas la magie.

Par ailleurs, la politique ne se limite pas à l’exercice qu’en font les partis ni même à l’habitus de la démocratie représentative. Affirmer l’apolitisme des jeunes revient à dire qu’ils ne voudraient en aucun cas s’impliquer dans la société, mais la réalité est bien différente. Aujourd’hui, les jeunes s’engagent dans des associations de jeunesse ; ils descendent dans les rues pour manifester ; ils prônent de nouvelles manières d’habiter, de se déplacer, de se nourrir. Tous ces gestes sont éminemment politiques. En outre, les processus de démocratie participative peuvent aussi réaffilier une jeunesse suspicieuse à l’égard de la démocratie représentative, à condition que ces processus laissent une place réelle aux jeunes, à travers une méthodologie de qualité.

Croire que les jeunes ne sont pas intéressés par la politique est erroné. Ils et elles le sont tout autant, voire plus que leurs aînés. Car, malgré les discours de méfiance, ils et elles ont soif d’un autre monde. © Mika Baumeister – Unsplash.com

Au cœur de ces deux raisons qui permettent de dire que parler d’apolitisme chez les jeunes est très exagéré se retrouve le concept fondamental de participation qui repose sur la possibilité de s’impliquer et d’être entendu. S’impliquer par le droit de vote, mais s’impliquer aussi à travers des engagements personnels et des structures participatives. Or ces structures ne peuvent fonctionner que si les jeunes y prennent place en tant qu’interlocuteurs a priori égaux aux participants « adultes ».

Lors de la crise de la covid, si les jeunes ont été épargnés sur le plan sanitaire, ils ne l’ont pas été sur celui de leurs libertés, à un âge particulièrement sensible, et ont, en outre, été l’objet d’une réelle stigmatisation par la société entière. Pendant cette période, tout s’est passé comme si les jeunes n’avaient, encore plus que d’habitude, aucune légitimité pour confier leurs angoisses, leurs souhaits, leurs rêves. Le politique n’a que très lentement – et pas encore complètement aujourd’hui – pris conscience que c’est une génération entière qui a été ébranlée.

Au total, cette génération a donc besoin d’un nouveau récit pour faire société, un récit qui se construirait avec elle, dans une dynamique bienveillante et inspirée. L’apolitisme n’est pas plus répandu chez les jeunes que dans les autres tranches d’âge. Il l’est peut-être moins encore, car si les jeunes ne se retrouvent plus vraiment dans les grandes affiliations du passé (partis, syndicats, églises…), ils ont soif de coconstruire un monde autre. Pas demain : aujourd’hui !

< Retour au sommaire