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    Centre interfédéral pour l’égalité des chances

Neutralité et discrimination : assumer la complexité

De manière générale, on peut dire qu’une politique de neutralité n’est pas nécessairement discriminante, mais elle peut le devenir si elle est mise en place sans discernement.

En effet, de nombreux paramètres entrent en jeu dans l’analyse de la justification d’une politique de neutralité et de ses éventuels aspects discriminatoires.

La combinaison de tous ces paramètres crée forcément des situations diverses où chaque fois l’analyse doit être refaite. C’est pourquoi Unia a développé sur son site internet1 des pages web qui analysent les situations les plus fréquentes2

Le raisonnement juridique et ses limites

La liberté de croire ou de ne pas croire, et de le manifester publiquement ou de ne pas le manifester, est une liberté fondamentale consacrée par des conventions régionales et internationales relatives aux droits humains et par la Constitution belge.

La liberté de manifester sa conviction n’est pas absolue, mais si on veut la limiter, il faut toujours une justification objective et raisonnable.

Sans cette justification objective et raisonnable, une règle qui limiterait la liberté de manifester sa conviction devient discriminatoire (au sens légal) pour les individus qui sont particulièrement affectés par cette règle (il s’agit en général d’une interdiction ou d’une exclusion qui ne touche pas également tous les individus ou les groupes).

Pour qu’une règle soit justifiée de manière objective et raisonnable, il faut démontrer que la règle poursuit un objectif légitime, et que cette règle est un moyen adéquat et nécessaire pour atteindre l’objectif légitime.

De manière générale, on peut dire que la neutralité peut constituer une justification objective et raisonnable dans un certain nombre de situations, mais reste à savoir de quelle neutralité on parle : seulement la neutralité des actes ou bien aussi la neutralité des apparences ? La neutralité inclusive (qui ne porte pas sur l’apparence) est-elle suffisante ou bien faut-il aller jusqu’à la neutralité exclusive (qui porte aussi sur l’­apparence)?

En dernière instance, c’est le tribunal qui tranchera si une règle est justifiée de manière objective et raisonnable. Mais il existe des situations où la recherche de solutions négociées est encore possible, éventuellement avec l’aide d’Unia.

Il existe aujourd’hui en matière de neutralité et de discrimination une jurisprudence (l’ensemble des jugements rendus par les différents tribunaux) touffue et pas toujours convergente. Il ne faut pas s’en étonner, dans la mesure où les notions de « neutralité » et de « signes convictionnels » recouvrent dans notre société contemporaine des contenus polysémiques.

Rappelons encore qu’il n’existe aujourd’hui aucune législation qui imposerait la neutralité exclusive de façon générale, ni dans l’emploi public, ni dans l’emploi privé, ni dans l’enseignement. Les organisations qui désirent mettre en place des politiques de neutralité plus inclusives (sans ouvrir la porte à n’importe quoi) conservent donc une marge de manœuvre pour ce faire. Unia propose un accompagnement adapté aux organisations qui désirent entamer un processus de réflexion sur leur politique de diversité et/ou de neutralité.

Dépolariser les débats, pour construire une société inclusive sans renoncer aux principes fondamentaux

Unia recommande à ceux qui veulent s’engager dans la construction d’une société inclusive (en luttant notamment contre les mécanismes d’exclusion), d’adopter une démarche de réflexion collective s’appuyant sur trois principes, dont les deux premiers sont non négociables, tandis que le troisième laisse ouverte une marge de négociation :

Premièrement, la liberté de croire et de ne pas croire est une liberté individuelle et fondamentale. Cela implique notamment qu’il faut prendre si nécessaire des mesures pour protéger les individus contre les pressions sociales.

Deuxièmement, la neutralité des actes des agents dans l’exercice de leurs missions est un impératif fondamental dans les services publics : l’égalité de traitement des citoyens doit être garantie. Dans l’emploi privé, il est légitime aussi qu’un employeur exige de ses employés qu’ils traitent tous les clients avec la même sollicitude.

Cette neutralité des actes implique notamment un devoir déontologique de réserve quant à l’expression de ses préférences personnelles vis-à-vis des usagers. L’agent doit aussi s’abstenir d’exprimer des jugements de valeur sur des caractéristiques qu’il imputerait à certains bénéficiaires.

Finalement, une marge de négociation est possible quant aux apparences vestimentaires. Ainsi est-il disproportionné d’affirmer que le simple port d’un signe convictionnel est en soi un acte prosélyte ou une manière de faire pression sur autrui. L’objectivation de comportements prosélytes ou de l’exercice de pressions doit toujours être corroborée par des indices multiples et convergents, où l’expression verbale joue souvent un rôle (« ce qui est explicitement dit »). D’autre part, il est incontestable que certains signes, vêtements, logos ou autres pin’s peuvent sortir du devoir de réserve mentionné ci-dessus, dans la mesure justement où ils se rapprocheraient de l’expression explicite d’opinions personnelles (on passe en quelque sorte du « signe » au « signal »).

Entre ces deux extrêmes, une négociation est possible sur l’apparence vestimentaire, afin de construire des solutions acceptables en principe pour tous, qui sortent de l’alternative du « tout ou rien » (n’est permis), où quelque chose est donc permis sans que ça devienne du « n’importe quoi ». C’est la condition pour coconstruire une société inclusive cohérente, pacifique, égalitaire et démocratique.


  1. www.unia.be
  2. Voir par exemple : https://www.unia.be/fr/criteres-de-discrimination/convictions-religieuses-ou-philosophiques/cadre-legal#Principe-de-neutralite
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