• Benoît Van der Meerschen
    Benoît Van der Meerschen
    secrétaire général du Centre d’Action Laïque

La neutralité dans les services publics : une exigence pour l'intérêt général

Évoquer le prin­cipe de neutra­lité est l’assurance d’entamer des discus­sions sans fin sur les contours de cette notion.

Le tour d’horizon euro­péen en la matière dressé par Fran­çois Finck dans les pages suivantes en témoigne d’ailleurs à suffi­sance. Notre petit pays lui non plus n’échappe pas à ce constat puisque, comme le souligne Marc Uytten­daele égale­ment dans ce numéro de Salut & Frater­nité, la neutra­lité à la belge est une « auberge espagnole ».

Suite aux pata­quès succes­sifs de l’été1 , dans une lettre ouverte au Premier ministre, le Centre d’Action Laïque (CAL) avait pris le temps de rappe­ler ses posi­tions sur la neutra­lité des agents de l’État.

Regret­tant des débats souvent sans nuances et réduc­teurs comme la profu­sion de propos cari­ca­tu­raux, le CAL et son homo­logue néer­lan­do­phone avaient tenu à préci­ser les termes du débat : « la laïcité est le prin­cipe huma­niste qui fonde le régime des liber­tés et des droits humains sur l’impartialité du pouvoir civil démo­cra­tique dégagé de toute ingé­rence reli­gieuse. De ce prin­cipe d’impartialité de l’État découle celui de la neutra­lité de ses agents ».

En Belgique, la ques­tion de la neutra­lité dans les services publics est syno­nyme de pata­quès, d'interprétations multiples, d'incohérences et de débats plus ou moins houleux.

La neutra­lité, parfois quali­fiée de « valeur fonda­trice d’un État démo­cra­tique », est précieuse en ce qu’elle vise avant tout à garan­tir un trai­te­ment équi­table du citoyen par les agents de l’État et un respect du plura­lisme de notre société. Par ailleurs, l’affirmation d’une neutra­lité de tous les agents de l’État est, dans le contexte socié­tal d’aujourd’hui, une exigence si l’on veut réha­bi­li­ter l’État et son admi­nis­tra­tion dans son rôle de défense de l’intérêt géné­ral et non d’intérêts particuliers.

Si, comme Marc Uytten­daele, on ne peut que regret­ter que l’arène des débats sur la neutra­lité se soit, depuis des décen­nies et avec toutes les inco­hé­rences que l’on peut imagi­ner, dépla­cée des enceintes parle­men­taires aux prétoires des cours et tribu­naux ; la vigi­lance sera de mise dès janvier prochain puisque le parle­ment de la Région bruxel­loise va mettre à son agenda la ques­tion de la neutra­lité dans la fonc­tion publique.

Le CAL a toujours plaidé pour que le pouvoir poli­tique assume ses respon­sa­bi­li­tés et tranche lui-même cette ques­tion plutôt que de se défaus­ser sur des admi­nis­tra­tions ou, en fin de compte, sur des juges. Que le parle­ment régio­nal bruxel­lois se lance dans cette entre­prise est donc encou­ra­geant car il est un des lieux où, préci­sé­ment, ce débat doit se tenir.

La neutra­lité vise avant tout à garan­tir un trai­te­ment équi­table du citoyen par les agents de l’État et un respect du plura­lisme de notre société (…)

Que nul ne s’en détourne cepen­dant et que personne ne soit dupe : ce qui sera décidé (ou pas) par la Région bruxel­loise en 2022 aura forcé­ment une inci­dence sur tout ce qui pourra se faire (ou pas) dans les autres enti­tés fédé­rale ou fédé­rées de notre pays. Un pli sera pris, un pas peut-être accompli.

Mais, sans nier l’intérêt de cette théma­tique, bien plus que la neutra­lité des agents de l’État – Henri Bartho­lo­meeu­sen ne quali­fiait-il pas avec beau­coup d’à‑propos la neutra­lité d’« eau tiède2 » ?–, l’autre débat qui devra mobi­li­ser toute notre atten­tion dans les mois à venir est celui de la future réforme de l’État.

Non pas que le CAL doive jouer au devin de paco­tille quant à la longé­vité de la coali­tion « Vivaldi » mais le proces­sus imaginé par le Gouver­ne­ment fédé­ral pour arri­ver à cette réforme de l’État se veut parti­ci­pa­tif et commen­cera prochai­ne­ment. Ainsi, par le biais d’une plate­forme en ligne, « tous les Belges et rési­dents en Belgique âgés de plus 16 ans seront invi­tés à s’y rendre début 2022 pour donner leurs avis, propo­si­tions et recom­man­da­tions, sur une série de théma­tiques en matière de réformes insti­tu­tion­nelles et de renou­veau démo­cra­tique3 ».

Cette consul­ta­tion se dérou­lera durant six semaines et elle ne peut se manquer puisqu’un des objec­tifs rete­nus par le gouver­ne­ment fédé­ral dans le cadre de cette consul­ta­tion est, entre autres, celui de l’approfondissement des prin­cipes démo­cra­tiques des struc­tures de l’État.

L’introduction de la laïcité dans la Consti­tu­tion entre évidem­ment tota­le­ment dans ce cadre et, après l’échec des travaux menés sous la précé­dente légis­la­ture sur « le carac­tère de l’État et les valeurs fonda­men­tales de la société4 » et vu la frilo­sité des dépu­tés actuels pour enta­mer aujourd’hui ce débat de la laïcité dans notre Charte fonda­men­tale5, le chan­tier est face à nous.

À nos outils donc, l’opportunité ne se repré­sen­tera pas.


  1. Affaire dite de la « STIB », Dési­gna­tion d’une commis­saire de gouver­ne­ment l’IEFH.

  2. « Consti­tu­tion : impar­tia­lité et régime des liber­tés », colloque du 23 février 2016, https://​www​.laicite​.be/​i​m​p​a​r​t​i​a​l​i​t​e​-​e​t​-​r​e​g​i​m​e​-​d​e​s​-​l​i​b​e​r​t​e​s​-​q​u​e​l​-​p​o​i​n​t​-​d​e​-​r​e​n​c​o​n​t​re/

  3. Note de poli­tique géné­rale « Réformes insti­tu­tion­nelles et Renou­veau démo­cra­tique » du 29 octobre 2021, p.4.

  4. Les multiples audi­tions et semaines de discus­sion n’ont eu comme seul résul­tat que la rédac­tion d’un volu­mi­neux rapport parle­men­taire voté le 24 janvier 2018.

  5. La tenta­tive des deux dépu­tés de Défi d’introduire dès main­te­nant la laïcité dans la Consti­tu­tion a été balayée à l’unanimité ce 26 novembre 2021 lors du vote en Commis­sion de la Consti­tu­tion et du renou­veau insti­tu­tion­nel du rapport sur la propo­si­tion de révi­sion de l’article 7bis de la Consti­tu­tion en vue d’y consa­crer la laïcité de l’État.

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