• François Debras
    François Debras
    assistant au sein du Centre d’Études Démocratie de la Faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie à l’Université de Liège

Laïcité : outil rhétorique pour l'extrême droite

À partir des années 1990, afin de contour­ner la légis­la­tion anti­ra­ciste tout en se présen­tant comme une alter­na­tive légi­time aux autres forma­tions poli­tiques, les partis d’extrême droite entament une phase de « dédia­bo­li­sa­tion1 ». Si le corpus idéo­lo­gique demeure inchangé (inéga­li­ta­risme, natio­na­lisme et radi­ca­lisme), l’argumentaire se modifie.

Les discours ne font plus réfé­rence aux ques­tions de race mais de culture et de reli­gion. La haine de l’autre se trans­forme en protec­tion de soi. Les réfé­rences aux régimes auto­ri­taires ainsi qu’à certaines orga­ni­sa­tions para­mi­li­taires sont écar­tées. Les discours se colorent de nouveaux termes, aupa­ra­vant absents, tels que « égalité homme/femme », « démo­cra­tie » ou « laïcité »2.

La France se carac­té­rise par une vision singu­lière de la laïcité issue d’une longue histoire parse­mée de conflits poli­tico-reli­gieux. Histo­ri­que­ment défen­due par les partis de gauche, la notion de laïcité appa­raît dans les discours du Rassem­ble­ment Natio­nal (RN) sous la prési­dence de Marine Le Pen. À plusieurs reprises, elle évoque une laïcité mena­cée ou la néces­sité de l’étendre à l’ensemble de l’espace public.

Face à un islam plus visible, la laïcité devient un enjeu poli­tique central et une théma­tique récur­rente des discours du RN

« Le simple fait de sortir seule ou de porter une jupe est ainsi perçu comme une provo­ca­tion. Ce recul des droits des femmes est aussi la consé­quence de l’immigration de masse, qui a renforcé le commu­nau­ta­risme et laissé l’islamisme s’enraciner […] L’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas négo­ciable, tout comme le droit des femmes à vivre ou de s’habiller comme elles l’entendent. Il est donc urgent de défendre les femmes de notre pays, ainsi que leurs droits et leur sécu­rité : cela passe par une exten­sion de la laïcité à l’ensemble de l’espace public et par le recru­te­ment de forces de l’ordre, pour renfor­cer les contrôles et proté­ger celles qui subissent des harcè­le­ments quoti­diens3 ».

Face à un islam plus visible, la laïcité devient un enjeu poli­tique central et une théma­tique récur­rente des discours du R.N. Elle y appa­raît comme un outil de lutte contre le commu­nau­ta­risme et est mobi­li­sée pour criti­quer les musul­mans. Elle n’existe que contre l’islam4.

Dans leur poli­tique de dédia­bo­li­sa­tion, les partis d'extrême droite aiment s'emparer de concepts comme la laïcité pour mieux s'attaquer aux personnes de culture et de reli­gion musul­manes. © Grégory Roose – Pixabay

Bien que la défense de la laïcité soit une spéci­fi­cité de l’extrême droite fran­çaise, nous retrou­vons une critique simi­laire dans les discours du Frei­heit­liche Partei Öster­reichs (FPÖ) en Autriche. À titre d’exemple, à propos de la Burqua, Heinz-Chris­tian Strache, ancien président du FPÖ, affir­mait : « C'est contraire à nos valeurs euro­péennes fonda­men­tales et à l'égalité entre les hommes et les femmes5 ». Ses commen­taires sont simi­laires pour le voile : « le voile entrave notre démo­cra­tie et notre État de droit […] tout assou­plis­se­ment signi­fie­rait la capi­tu­la­tion devant le terro­risme isla­mique ». Toute­fois, l’ancien président décla­rait égale­ment : « la croix fait partie de notre culture et de notre tradi­tion et ne devrait donc pas être inter­dite6 ». Lorsque le FPÖ prône la sépa­ra­tion entre l'Église et l'État, il ne le fait donc que dans le cadre de la lutte contre l'islam.

L’évolution de la rhéto­rique des partis d’extrême droite en faveur d’une défense de la laïcité n’est pas syno­nyme d’une trans­for­ma­tion idéo­lo­gique de l’extrême droite. Bien que l’hostilité des partis ne soit plus diri­gée contre des races mais contre une reli­gion, l’islam, les discours reposent toujours sur une essen­tia­li­sa­tion de commu­nau­tés figées, « nous » contre « eux ». La défense de la laïcité appa­raît dès lors comme un argu­ment au service d’une rhéto­rique inéga­li­taire et raciste.


  1. GUILLET Nico­las, AFIOUNI Nada (dir.), Les tenta­tives de bana­li­sa­tion de l’extrême droite en Europe, Éditions de l’Université de Bruxelles, Science poli­tique, 2016.
  2. ALDUY Cécile, WAHNICH Stéphane, Marine Le Pen prise aux mots, Seuil, 2015.
  3. RASSEMBLEMENT NATIONAL, « Harcè­le­ment des femmes dans le quar­tier La Chapelle-Pajol : la sécu­rité et l’égalité ne sont pas négo­ciables ! », 19 mai 2017, http://​rassem​ble​ment​na​tio​nal​.fr.
  4. FRIGOLI Gilles, IVALDI Gilles, « L’extrême droite et l’islam : frac­tures idéo­lo­giques et stra­té­gies élec­to­rales », Hommes & migra­tions, 2017, no 1316, p. 33.
  5. STRACHE Heinz-Chris­tian, « Strache Null Tole­ranz gegen Isla­mis­mus und Unter­drü­ckung von Frauen », Frei­heit­liche Partei Öster­reichs, 18 mai 2017, https://​www​.fpoe​.at.
  6. STRACHE Heinz-Chris­tian, « Endlich Konse­quen­zen aus Entwi­ck­lun­gen in der Türkei ziehen », Frei­heit­liche Partei Öster­reichs, 27 avril 2017, https://​www​.fpoe​.at.
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