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François Finck,
chargé de plaidoyer dans les affaires européennes et internationales au Centre d’Action Laïque
La neutralité de l’État : une réalité au-delà de nos frontières ?
La neutralité de l’État est-elle une norme ou une exception dans le monde ? Quels sont les types de relations entre État et religions ?
Une religion officielle est toujours une réalité dans une minorité de pays. C’est le cas de la Grèce (orthodoxie) et de Malte (catholicisme), qui reconnaissent néanmoins la liberté de conscience. L’islam est religion d’État dans la grande majorité des pays où cette religion est traditionnelle, à des degrés et dans des modalités diverses (Arabie Saoudite, Iran, Maroc, Algérie…). En outre, plusieurs États imposent une idéologie officielle non théiste (Chine, Corée du Nord…).
En Europe, le modèle dominant est une séparation incomplète qui reconnaît des privilèges divers (financements publics, avantages fiscaux, enseignement) à la religion traditionnellement majoritaire : catholique (Italie, Espagne, Croatie, Slovaquie, Pologne… – où les privilèges de l’Église sont souvent garantis par un concordat avec le Saint-Siège), luthérienne (pays scandinaves) ou orthodoxe (Roumanie, Bulgarie).
En Hongrie et en Pologne, les régimes nationaux-conservateurs s’appuient sur une alliance avec la religion, dont les courants fondamentalistes exercent une grande influence sur le droit et la politique.
Plusieurs pays appliquent une forme de neutralité, de la laïcité à la neutralité « accommodante ». En France, la séparation claire entre les Églises et l’État vise à garantir l’égalité et la liberté de conscience de tous les citoyens dans une sphère politique dégagée de l’influence religieuse. Elle exige la stricte neutralité de l’État et de tous les agents publics.
La laïcité fonde l’indépendance du politique envers les religions, alors que la neutralité « accommodante » est basée sur le postulat qu’elles jouent un rôle positif dans la société. C’est le cas des Pays-Bas, où la neutralité signifie que l’État ne peut favoriser aucune religion, mais les accommode toutes généreusement, tandis que l’Allemagne proclame en principe la neutralité malgré la persistance du statut juridique avantageux des Églises catholique et protestante.
Hors d’Europe, la neutralité de l’État existe sous différentes formes. Aux États-Unis, elle découle du premier amendement à la Constitution : le Congrès ne peut faire de lois établissant une religion officielle. Ce principe a été interprété à la fois comme une exigence de stricte neutralité des autorités et de grande liberté religieuse.
En Amérique latine, l’Église catholique bénéficie souvent de liens privilégiés avec l’État. En outre, l’évangélisme exerce une influence considérable sur la politique, notamment au Brésil. Cependant, une claire séparation des religions et de l’État est bien implantée en Uruguay et au Mexique, pionniers de la laïcité dans la région.
Si la plupart des pays reconnaît la liberté de conscience, de pensée et de religion, la neutralité reste une exception.
Comme les États-Unis, l’Inde a proclamé la neutralité de l’État comme la meilleure manière d’assurer la cohésion dans une société d’une grande diversité religieuse. Néanmoins, le sécularisme indien n’est pas tant une séparation que la tentative de réaliser un équilibre entre les diverses religions, et leur droit égal à participer aux affaires publiques. Ce modèle est remis en cause par le parti au pouvoir actuellement, tenant du suprématisme hindouiste.
En revanche, en Turquie, l’État se définit comme laïque, mais n’est pas neutre car il favorise en même temps qu’il contrôle la religion dominante (islam sunnite). Sa place privilégiée a été accentuée par le régime actuel, mais est présente dès l’origine de la république.
En Afrique subsaharienne, la plupart des pays ayant été des colonies de la France en ont adopté le principe de laïcité, mais l’interprètent généralement dans le sens d’une exigence de neutralité envers les diverses religions qui n’empêche pas la reconnaissance de leur place importante dans la société, voire une collaboration entre l’État et les Églises chrétiennes et confréries islamiques. La neutralité favorable aux religions est également dominante en Afrique anglophone. Souvent, la faiblesse des États laisse le champ libre aux organisations religieuses qui assurent des services de base au bénéfice de la population, ce qui leur permet d’obtenir une grande influence politique.
Ce rapide tour d’horizon montre la grande variété des relations État-religions. Si la plupart des pays reconnaissent la liberté de conscience, de pensée et de religion, la neutralité reste une exception. La religion dominante et traditionnelle a un statut privilégié dans la majorité des États.
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