• Bruno Frère
    Bruno Frère
    sociologue et philosophe, maître de recherche au FNRS et professeur à l'Université de Liège.

Pour un renforcement du monde associatif

On a pris l’habitude d’avancer que depuis une quaran­taine d’années, l’État social se décharge d’une partie de ses missions vers le monde asso­cia­tif ou vers le monde entre­pre­neu­rial. L’un et l’autre sont suppo­sés être plus flexibles et dispo­ser de travailleurs plus moti­vés pour des raisons finan­cières d’un côté, pour des raisons idéo­lo­giques de l’autre. Cette analyse ne corres­pond qu’en partie à la réalité. L’État social n’existe que depuis une grosse soixan­taine d’années.

Depuis l’avènement des démo­cra­ties modernes au tour­nant des 18e et 19e siècles et jusqu’au lende­main de la Seconde Guerre mondiale, une grande partie des besoins vitaux en termes d’assurance et de protec­tion étaient déjà assu­rés par des asso­cia­tions popu­laires. Durant le même laps de temps qui corres­pond grosso-modo à celui de la révo­lu­tion indus­trielle, le capi­ta­lisme s’est déve­loppé et petit à petit renforcé. De facto, les asso­cia­tions, pour leur part, s’en sont progres­si­ve­ment trou­vées exclues et confi­nées au secteur du non marchand et donc à ce qui n’est pas supposé être rentable (la protec­tion sociale, la santé puis le sport et la culture et les loisirs). Le secteur marchand étant réservé, à l’exception de quelques coopé­ra­tives, au capitalisme.

Ce n’est que dans un second temps, après l’avènement de ce que l’on a appelé les États « provi­dences » que les asso­cia­tions se sont vues partiel­le­ment déchar­gées de certaines respon­sa­bi­li­tés, prin­ci­pa­le­ment en termes de sécu­rité sociale (assu­rances santé, chômage, pensions).

Aujourd’hui, le secteur asso­cia­tif se remet à panser les plaies du capi­ta­lisme en accep­tant de trai­ter de plus belle la misère et l’exclusion. Ceci étant dit, la décen­tra­li­sa­tion de l’État vers les asso­cia­tions peut appa­raître sous certaines condi­tions, chose heureuse. Aujourd’hui on peut penser notam­ment aux asso­cia­tions d’éducation perma­nente et popu­laire qui conti­nuent à être finan­cées (même si là encore les ressources publiques sont sans cesse mena­cées) et qui font un travail de plus grande qualité que s’il était assumé par l’État.

Selon moi, l’enjeu d’un nouveau projet social est d’envisager la façon dont les asso­cia­tions peuvent conti­nuer à assu­rer toute une série de services mais de façon pérenne, avec des moyens solides et des travailleurs proté­gés. Il ne faut pas « moins d’État » – et donc moins de budget public pour les asso­cia­tions – mais il faut que l’État social et les asso­cia­tions, notam­ment les coopé­ra­tives de travailleurs, s’allient contre le capi­ta­lisme. En Europe occi­den­tale, nous avons en effet réussi à construire quelque chose d’intéressant : un État social qui collecte de l’impôt pour une santé, des écoles et des univer­si­tés quasi gratuites et de qualité élevée. Il faut conser­ver ces acquis précieux. Mais à côté de cela, il faut renfor­cer le secteur asso­cia­tif et celui de l’économie sociale par le biais d’une capta­tion du capi­tal suscep­tible d’être radi­ca­le­ment redis­tri­bué auprès de ces struc­tures auto-orga­ni­sées et indé­pen­dantes qui prestent en réalité bien des services publics. Ce projet, mon collègue Philippe Corcuff et moi-même le quali­fions de démo­cra­tie liber­taire.

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