• Geoffroy Carly
    Geoffroy Carly
    directeur des Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Éducation Active (CEMEA) et membre du Collectif21

L’OVNI* Collectif21

La récente inté­gra­tion des asso­cia­tions dans le Code des socié­tés et des asso­cia­tions (CSA) en 2019 est passée inaper­çue. Peu de débat sur ce rappro­che­ment « contre-nature » entre l’entreprise et l’asbl, peu de mobi­li­sa­tion, peu de bruit… Les prag­ma­tiques y voient des avan­cées pour les asso­cia­tions qui peuvent main­te­nant plus faci­le­ment commer­cer ou être proté­gées en cas de faillite, et les para­nos situent cette évolu­tion dans la grande marche du monde qui trans­forme tout en produits de consommation.

On se doute que les signi­fiants des termes « asso­cier » et « entre­prendre » ne recouvrent pas les mêmes ambi­tions ni les mêmes praxis. Ces chan­ge­ments auront, inévi­ta­ble­ment, des impacts symbo­liques et pratiques sur les insti­tu­tions elles-mêmes, leurs actions, leur culture.

À l'intention de quelques-uns, de quelques asso­cia­tions, inquiets tout de même de cette trans­for­ma­tion présen­tée comme quasi natu­relle, nous avons voulu reve­nir sur ce qui fait asso­cia­tion pour cali­brer l’oraison funèbre de la loi de 1921 sur les asso­cia­tions, texte en toute fin de vie puisque toutes les struc­tures devront avoir rejoint le CSA en 2024.

Nous avons dès lors mis sur pied un site Inter­net (www​.collec​tif21​.be) et orga­nisé des rencontres/débats pour appré­hen­der le fait asso­cia­tif aujourd’hui sous diffé­rentes facettes : l’économie, la pila­ri­sa­tion, l’action en temps de crise, les travailleurs du secteur, le rapport aux pouvoirs publics, l’engagement et le mili­tan­tisme, la parti­ci­pa­tion et/ou l’instrumentalisation des publics avec lesquels les asso­cia­tions travaillent… le tout dans une diffi­culté constante qui consiste à cerner l’objet de l’investigation tant les fron­tières de l’associatif en Belgique sont diffi­ci­le­ment déli­mi­tables. En effet, entre le club de pétanque du coin et les cliniques univer­si­taires Saint-Luc de Woluwé-Saint-Lambert, ou entre l’ONG et la struc­ture para­com­mu­nale liégeoise, pas facile de déli­mi­ter le champ et de déter­mi­ner une iden­tité qui fasse sens pour l’ensemble au-delà du « véhi­cule admi­nis­tra­tif » que consti­tue le statut d’asbl.

Cette recherche d’une iden­tité propre aux asso­cia­tions n’a pas pour voca­tion de caté­go­ri­ser les « purs » et les « impurs », mais plutôt de situer les asso­cia­tions dans leur rôle dans la société, leur permet­tant par voie de consé­quence d’opérer des choix et de les assu­mer. Clai­re­ment, pour ce qui concerne le Collectif21, nous situons le fait asso­cia­tif dans ce qui a fondé la loi de 1921 à l’origine, à savoir de se distin­guer du monde écono­mique marchand d’abord, en recon­nais­sant la capa­cité de s’associer à plusieurs pour agir dans la société ensuite. Nous situons donc le fait asso­cia­tif dans une construc­tion démo­cra­tique qui devrait, à notre sens, conti­nuer à faire réfé­rence dans la suite et orien­ter l’action et les reven­di­ca­tions du secteur asso­cia­tif : pour conti­nuer à révé­ler des injus­tices, élabo­rer des alter­na­tives, permettre de vivre au-delà de ce qui est déter­miné par la société telle qu’elle est.

© Markus Spiske – Unsplash

La quête d’une culture poli­tique propre à l’associatif, qui peut se trans­mettre, vivre et se déve­lop­per est d’autant plus impor­tante que le secteur asso­cia­tif a vécu et conti­nue d’être confronté à de profondes muta­tions ces dernières années, mêlant profes­sion­na­li­sa­tion, une tendance au regrou­pe­ment en grandes enti­tés (et fragi­li­sa­tion des plus petites struc­tures) et des modes de travail (et de contrôles) qui poussent au forma­tage des pratiques. Un des risques impor­tants est une perte d’hétérogénéité du secteur et une profonde décon­nexion avec certains publics, proba­ble­ment les plus éloi­gnés de la parti­ci­pa­tion à la vie de la cité.

Dans les travaux menés jusqu’ici, nous avons pu déga­ger des éléments struc­tu­rants du champ asso­cia­tif avec l’appui de Jean Blai­ron1 qui pour­raient dessi­ner des balises d’une culture à faire vivre misant sur des collec­tifs qui décident de lier leur sort autour d’un enjeu, se mobi­lisent concrè­te­ment pour faire vivre leur « quête » partout où c’est possible. Cette orga­ni­sa­tion qui trans­cende les iden­ti­tés des « êtres de chair » qui la consti­tuent, s’impose aussi une éthique qui garan­tit le sens du projet sans pour autant être décon­nec­tée du monde qui l’entoure.
Le fait asso­cia­tif dans sa complexité est inscrit dans les défis du monde contem­po­rain : une culture au travail pour faire société !


  • *OVNI :œuvre Volon­taire de Néces­sité Impérieuse.
  1. Jean Blai­ron, « L’associatif est-il (encore) mani­fes­table ? », Inter​mag​.be, RTA asbl, septembre 2020, www​.inter​mag​.be.
< Retour au sommaire