• Bernard Feltz
    Bernard Feltz
    biologiste et docteur en philosophie à l’UCLouvain.

Liberté, déterminisme et neurosciences

L’hypothèse d’une incompatibilité entre liberté et neurosciences repose sur une double présupposition. D’une part, l’idée que des lois strictement déterministes régissent le monde matériel. D’autre part, l’idée que, l’humain étant constitué de matière, cette structure matérielle détermine l’ensemble du comportement et ne laisse aucune place à une quelconque liberté de choix. Dans ce contexte, notre sentiment de liberté n’est qu’illusion. Tout notre comportement est strictement déterminé par notre structure matérielle, en particulier par notre cerveau.

Les travaux récents en neuroscience nous apprennent que les multiples connexions entre cellules nerveuses du cerveau sont très plastiques et sont continuellement changeantes. Tous les processus d’apprentissage, par exemple, conduisent à des modifications profondes des terminaisons nerveuses. À titre d’exemple, des études ont montré que la zone du cerveau qui contrôle la main gauche chez les violonistes peut avoir un volume quatre à cinq fois supérieur à cette même zone chez les non-violonistes. Cela signifie concrètement que l’activité du cerveau modifie la structure du cerveau. 

Si l’activité de l’humain modifie la structure du cerveau, on ne peut plus dire qu’il y a une détermination radicale du comportement par le cerveau. La personne qui a appris le français présente dans son cerveau une connectivité fine différente de la personne qui a appris l’anglais. Dans ce contexte, on peut dire que la structure fine du cerveau est tout autant un produit culturel que biologique. L’impact du comportement, par conséquent de la culture d’un individu, sur la structure biologique du cerveau remet donc en cause le déterminisme biologique radical. Dire que le comportement humain dépend uniquement de la structure biologique n’est actuellement plus scientifiquement défendable.

Cela n’établit pourtant pas nécessairement la liberté dans le comportement humain. D’aucuns parlent d’un déterminisme radical qui concerne le social, indépendamment d’une détermination par le biologique. Cette position, toute autre que le déterminisme biologique, ne s’impose pourtant en aucune manière. Une autre interprétation donne une place décisive au langage.

Plusieurs traditions philosophiques associent liberté et langage articulé. La linguistique et la philosophie du langage humain montrent que le langage ouvre à une infinité de phrases et de significations possibles. 

L’être humain est un système de contraintes qui comporte une certaine marge de manœuvre. Par son langage, l’humain articule son comportement à un système de représentation de la réalité. Cette représentation lui permet d’inscrire son comportement dans un long terme et d’anticiper, de manière imaginative, ce que pourrait être le monde qu’il construit. Ce faisant, non seulement il fait preuve de liberté, mais il inscrit son comportement de manière culturelle dans une dynamique commune qui tend à faire évoluer le monde dans le sens qu’il souhaite. ♣♣♣

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