• Albert Moukheiber
    Albert Moukheiber
    docteur en neurosciences cognitives et psychologue clinicien
Propos recueillis par Charlotte Collot

Le libre arbitre, une illusion ?

Auteur du livre Votre cerveau vous joue des tours, paru en 2019, Albert Moukhei­ber est le parrain de l’exposition Illu­sions, vous n’allez pas y croire, créée par le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège. Cette expo­si­tion sera visible à partir du 27 février prochain à La Cité Miroir à Liège. Dans cet entre­tien, il nous parle des méca­nismes céré­braux qui influencent notre libre arbitre.

Salut & Frater­nité : Pouvez-vous expli­quer le titre de votre livre Votre cerveau vous joue des tours ?

Albert Moukhei­ber : Je voulais un titre qui exprime l’idée que notre cerveau fait des choses à notre insu. Cepen­dant, je ne voulais pas que cela soit connoté néga­ti­ve­ment, car une grande partie des tours que nous joue notre cerveau est très impor­tante pour notre fonc­tion­ne­ment. Notre cerveau fait des choses qui peuvent nous surprendre, nous trom­per mais aussi nous aider. Il est en perma­nence en train de trai­ter des infor­ma­tions sans que nous n’en ayons vrai­ment conscience. Par exemple, je vous parle et en même temps je marche. Mon cerveau traite « la marche ». Je ne pense pas à « comment suis-je en train de marcher ? ».

(…) Nous sommes des animaux sociaux et donc nous pouvons être les garde-fous les uns des autres.

Il marche pour moi. Dans ce cas, c’est très utile. Mais parfois, notre cerveau nous joue des tours qui peuvent être délé­tères à notre opinion. Nous n’avons pas accès à toutes les infor­ma­tions du monde, c’est pour­quoi notre cerveau a besoin de faire des raccour­cis, des inter­pré­ta­tions, des projec­tions et de nous racon­ter des histoires. Parfois ces méca­nismes sont néces­saires à notre fonc­tion­ne­ment et à notre survie mais parfois ces remplis­sages du réel pour créer de la cohé­rence peuvent nous induire en erreur.

Flickr​.com – Ars Elec­tro­nica – Lois Lamme­rhu­ber
Notre cerveau déve­loppe des méca­nismes complexes qui peuvent nous trom­per mais aussi nous aider. Il est facile de se trou­ver prison­nier de ses propre aprioris.

S&F : Les neuros­ciences remettent-elles en ques­tion la notion de libre arbitre ?

A.M. : Cela reste une notion très diffi­cile à étudier. On a encore beau­coup de diffi­cul­tés à établir des proto­coles expé­ri­men­taux qui nous permet­traient vrai­ment d’avancer. Mais aujourd’hui, sur la base des infor­ma­tions que l’on a, mais qui sont à même de chan­ger, on peut dire que notre libre arbitre est quelque chose de très malléable. En fonc­tion des situa­tions, on a plus ou moins de libre arbitre. Il y a énor­mé­ment d’éléments qui peuvent entrer en jeu et du coup le limi­ter. Par exemple : s’il y a le feu, si je n’ai pas dormi ou si j’ai faim, cela peut modi­fier mes prises de déci­sion. 

Un autre élément est qu’on ne perçoit pas la réalité dans sa tota­lité. Prenons l’exemple de la covid-19. On remarque qu’on inter­prète la réalité du virus en fonc­tion de nos aprio­ris car le virus est nouveau. Et tout ce qui est nouveau est ambigu. Certains pensent que le virus n’existe pas, d’autres que c’est un plan pour qu’on nous contrôle, etc. Plus une situa­tion est nouvelle et ambigüe et plus nous verrons la réalité telle que nous sommes plutôt que telle qu’elle est.

S&F : Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsqu’on opère des choix ?

A.M. : Plusieurs facteurs entrent en compte et influencent mes choix : premiè­re­ment, mes aprio­ris (ce que je crois déjà sur le sujet) et mes prédic­tions (ce que mon cerveau va prédire sur ce qu’il va se passer si je prends telle ou telle déci­sion). Ensuite, le retour du réel : quand on a fait un choix, on observe ce qui se passe et on va adap­ter nos modèles. Et enfin, souvent, après qu’on ait pris une déci­sion, notre cerveau réécrit nos moti­va­tions pour nous convaincre qu’on a raison. C’est ce qu’on appelle les facteurs de post-ratio­na­li­sa­tion. C’est-à-dire : ce n’est pas juste réflé­chir puis prendre une déci­sion, mais parfois on justi­fie notre déci­sion après l’avoir prise. Notre cerveau va réor­ga­ni­ser la réalité après coup pour justi­fier un choix.

S&F : Comment être libres si nous sommes déter­mi­nés par tous ces méca­nismes incons­cients ? Comment reprendre la main ?

A.M. : Et bien… on accepte de ne pas être aussi libre que ça ! Nous sommes des animaux sociaux et donc nous pouvons être les garde-fous les uns des autres. S’il y a un sujet auquel on est très atta­ché, où il y a un enjeu, on va faire appel à des avis exté­rieurs. C’est là que le doute devient un outil très impor­tant de la pensée critique. Ne pas auto­ma­ti­que­ment croire ses pensées, ses émotions, ses intui­tions et ses aprio­ris parce que, souvent, notre cerveau nous joue des tours.

S&F : Qu’est-ce qui vous a motivé à parrai­ner l’exposition Illu­sions, vous n’allez pas y croire ?

A.M. : La théma­tique évidem­ment ! Cette expo­si­tion fait écho à ce que j’explique dans mon livre. Elle invite le public à réflé­chir sur les méca­nismes qui affectent notre juge­ment et nous font voir le monde selon des pers­pec­tives diffé­rentes. Mieux comprendre comment fonc­tionne notre cerveau pour mieux appré­hen­der notre rapport au monde et aux autres. Tout ça de façon la plus ludique et inté­res­sante possible ! ♣♣♣

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