• Benoît Van der Meerschen
    Benoît Van der Meerschen
    secrétaire général adjoint du Centre d’Action Laïque

Qui a peur du cours de philosophie et de citoyenneté ?

La mise en œuvre du cours de philosophie et de citoyenneté (CPC) constitue une avancée saluée par bon nombre d’enseignants et de directeurs. La solution de compromis adoptée d’une heure de CPC à côté d’une heure de religion/morale (« le +1 ») provoque cependant d’énormes problèmes d’organisation et pose toujours de multiples questions sur le plan pédagogique.


Pour être clair, le système retenu est une hérésie tant pédagogique qu’organisationnelle. Le constat est d’ailleurs partagé par notre représentation parlementaire puisque, en juin 2018, tous les membres d’un groupe de travail parlementaire – en ce compris le cdH – dédié à la question, ont recommandé « un cours unique de deux périodes 1 ».

Pour le mouvement laïque, au-delà des questions organisationnelles, le seul moteur dans ce dossier doit être celui de l’intérêt supérieur de l’enfant. Aujourd’hui, l’organisation des cours de religion et de morale en Wallonie et à Bruxelles établit encore un processus unique de différenciation des élèves, en scindant la classe durant le seul cours portant précisément sur les questions essentielles pour regrouper les élèves en fonction de leur appartenance spirituelle ou laïque, ou celle de leurs parents. Comment s’étonner ensuite que des gouffres séparent les conceptions culturelles des uns et des autres ?

À l’aube de cette nouvelle législature, le Centre d’Action Laïque ne manquera pas de suivre avec attention la suite réservée à ce dossier par le monde politique fort de ses promesses de campagne. Mais si demain est un autre jour, sur le plan des principes, les discussions relatives au CPC ne manquent jamais d’interloquer : comment en 2019 peut-on encore contester la pertinence d’un pareil cours ?

Depuis de nombreuses années, le mouvement laïque défend un enseignement philosophique à l’école qui ne sépare pas les élèves en fonction des croyances de leurs parents. – © Congy Yuan – unsplash.org

En réalité, la question que nous devons sans doute nous poser est : de quoi les détracteurs de ce cours ont-ils peur ? 2  La philosophie à l’école serait-elle dangereuse ? L’apport prédominant de la philosophie ne réside pas dans son contenu mais dans les outils de réflexion qu’elle propose. En effet, la philosophie n’est pas un contenu, c’est une boîte à outils qui aide au décentrement, à la comparaison, à la nuance, à l’empathie et à l’écoute du point de vue de l’autre. Dans une société en manque de repères, dominée par l’immédiateté de l’information, la compétitivité et la globalisation des messages, offrir aux jeunes adultes toutes les clefs possibles pour se construire une personnalité en accord avec leurs aspirations personnelles et la complexité du monde est essentiel.

Enfin, pour ce qui concerne la citoyenneté, croire que de telles compétences pourraient s’acquérir uniquement de façon transversale, par petites « tranches », dans les différents cours qui sont déjà surchargés, est illusoire. De surcroît, peu importe l’école, qu’elle soit catholique, musulmane ou juive mais, en 2019, est-il encore concevable de confier l’enseignement de la citoyenneté à des cultes ? Cet extrait du référentiel de religion catholique est en soi suffisamment éclairant : « À propos de la question du sens, le cours de religion met les élèves en situation de confrontation avec l’événement Jésus-Christ en qui, atteste la foi chrétienne, se révèle de manière décisive un Dieu qui s’offre en alliance et propose un projet de salut et de bonheur pour l’humanité. Il s’agira dès lors de faire découvrir la manière dont l’événement Jésus-Christ rejoint la vie, les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes. 3 »

La législature qui s’annonce sera cruciale à plus d’un titre : ne devons-nous pas aujourd’hui chercher ce qui rassemble plutôt que ce qui divise ? L’école, outil logiquement majeur d’émancipation, ne doit-elle pas être ce levier qui permet précisément la construction de la citoyenneté qui conjugue les différences sans les opposer ?

« Éduquer, c’est préparer à entrer dans un monde commun » a écrit Hannah Arendt. Il est peut-être temps de s’en rendre compte et d’agir en ce sens.

  1. http ://archive.pfwb.be/10000000209304b?action=browse
  2. Ainsi, la priorité n°1 du SEGEC dans son mémorandum pour ces dernières élections est … « La pertinence d’un enseignement transversal de l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté »
  3. http ://enseignement.catholique.be/segec/fileadmin/DocsFede/FESeC/religion/refeentielsreligioncatholique.pdf, page 6.
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