- Jean De Brueker,
secrétaire général du Centre d’Action Laïque
La neutralité des bâtiments officiels, gage de la laïcité de l’État
D’aucuns pourraient – sans être taxés de laxisme, d’insouciance – appréhender le symbole liturgique comme un vestige historique d’une omniprésence confessionnelle dans la cité, dans les bâtiments officiels, mais n’ayant plus de réel impact sur l’impartialité des services publics ni sur la neutralité de ses agents.
Et pourtant, quand on voit l’acharnement à maintenir, voire à imposer une symbolique confessionnelle comme autant d’étendards d’une morale spécifique dont on veut faire profiter, que l’on souhaite imposer au plus grand nombre, la vigilance est de mise.
Pour construire et faire vivre une société juste, progressiste et fraternelle, il est indispensable que les citoyens partagent, respectent un bagage commun dont l’ADN se situe au niveau des droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Pour nourrir cette noble ambition, il parait opportun de faire vivre la laïcité de l’État à travers cette trilogie émancipatrice : l’impartialité du pouvoir civil dégagé de toute ingérence religieuse, l’impartialité des services publics et la neutralité des agents. Cette dernière, souhaitée et souhaitable, doit prendre place au sein des locaux des services publics également neutres et donc débarrassés des symboles cultuels, convictionnels, militants.
Le poids de l’histoire, la préservation du patrimoine artistique, ont parfois pour conséquence que les murs des maisons communales, des tribunaux, d’écoles publiques se voient agrémentés de symboles, de représentations en lien avec une conviction particulière, dans la pratique, en lien avec la religion catholique.
Ces dernières décennies, on a dépendu des croix, décroché des tableaux pour que le poids d’une religion particulière ne vienne pas compromettre la neutralité d’un bâtiment dédié aux services publics. Comme le rappelait, il y a quelques années, Anne Fivé, juriste au Centre d’Action Laïque, « (…) Il n’existe cependant jusqu’à présent en Belgique aucun texte de loi ou réglementaire qui interdit de manière explicite la présence de symboles religieux dans les bâtiments publics. Cependant, suite à une question parlementaire du 23 octobre 2000, l’ancien ministre de la Justice Marc Verwilghen a demandé à veiller à ce que les crucifix ou tout autre symbole religieux présents dans les salles d’audience et les lieux accessibles soient enlevés. »

La mobilisation laïque s’est également portée sur la suppression des cérémonies officielles religieuses, ce qui a conduit à la transformation du Te Deum du 21 juillet en une cérémonie civile qui se tient désormais au Parlement fédéral.
Aujourd’hui, de plus en plus de personnes considèrent la croyance comme une balise personnelle, une spiritualité orientée composante d’une réflexion intime. La pratique religieuse s’évapore dans un espace de plus en plus sécularisé. Mais comme résultante de tout processus d’évaporation, il y a une concentration du principe actif, en l’occurrence ici un certain radicalisme religieux, qui veut mobiliser les brebis égarées et nous ramener à des valeurs cultuelles fondamentales et aux pratiques qui y sont associées.
Garder quelques symboles est certes bien symbolique et ne va pas modifier de manière significative les espaces de liberté. Ce sont les discours communautaristes, les replis identitaires, les propos et actes extrémistes qui constituent les véritables obstacles à un vivre ensemble harmonieux et respectueux et sont un danger pour un pouvoir civil démocratique. Mais le caractère symbolique de ces transgressions au principe de neutralité est, au propre comme au figuré, emblématique d’une confusion des genres, d’un brouillage du principe de séparation Églises/État et perturbe la stratigraphie pouvoir civil/pouvoir religieux. Les exemples qui nous viennent à l’esprit sont une croix oubliée dans le préau d’une école officielle, un tableau de Jésus crucifié ornant le mur d’un tribunal.
Pour ne pas déroger à la stricte neutralité des bâtiments publics, maintenons aux oubliettes des transcendances et des dogmatismes. Concourons ainsi aux réalités espérées d’impartialité, au principe de laïcité garant de la liberté de toutes les convictions, de leur expression en se gardant de permettre leur imposition ou leur déviance par rapport aux droits fondamentaux.
À l’ombre de la croix, sous le soleil du flambeau, puisse chacune, chacun, s’épanouir avec le souci du respect des personnes, de susciter la confrontation dialectique des idées pour contribuer à la construction d’une société où l’on peut être libres, ensemble.
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