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Micheline Zanatta,
historienne et présidente de l'Institut d'histoire ouvrière, économique et sociale (IHOES)
La laïcité au XIXe siècle : combats et premières victoires
Après un Ancien Régime où l’Église avait la main sur tous les moments importants de la vie de l'individu, mais aussi sur l'enseignement, les hôpitaux et les œuvres de charité, les régimes français puis hollandais tentent de limiter le pouvoir religieux, en favorisant notamment l'enseignement secondaire et supérieur officiel.
L’Église n'attend que sa revanche, permise par la Révolution belge. Dans un compromis avec les libéraux, où elle renonce au statut de religion officielle, elle se réserve des avantages qui lui permettent de créer un véritable État dans l’État et d'imprimer sa marque sur les institutions naissantes, au nom du principe de liberté. Cependant, parmi les acquis de la Constitution, citons la prise en main des registres de l'état civil par l’État, faisant du mariage légal le seul valide.
Il faut s'entendre sur le mot laïcité, qui n'implique ni l’abandon du sentiment religieux, ni surtout de la foi catholique, mais s'approche alors plutôt de l'anticléricalisme, qui soutient le rôle de l’État et une lutte contre les abus du cléricalisme. L'idée de la séparation de l’Église et de l’État ne fait son entrée officielle dans les discours qu'à la fin du siècle.
Les défenseurs de la laïcité se recrutent dans la bourgeoisie et les intellectuels nourris aux idées des Lumières ; ils luttent contre l'intolérance religieuse, pour le rationalisme, trouvent des relais auprès de la Franc-maçonnerie et de l'Université libre de Bruxelles auxquelles ils sont étroitement liés mais les premières années, sous le signe de l’unionisme, c'est le règne du compromis. Les relations avec les catholiques reflètent un caractère de classe, comme le montre la loi sur l’enseignement de 1842 qui a pour but avoué de « conserver le caractère religieux du peuple ». Plus tard, les partis bourgeois sont d’accord pour refuser l'instruction obligatoire, défendue par des progressistes et des socialistes, tout en souhaitant que l’école dispense au peuple un enseignement moral et religieux qui le maintiendra à sa place dans la société.
Le socialisme se développe parallèlement à la libre pensée, à laquelle il adhère : une branche importante de celle-ci soutient l'émancipation de la classe ouvrière, notamment dans la lutte pour le suffrage universel.

En dehors des grands combats politiques, les enjeux liés à la laïcité se concentrent sur quelques grandes questions, dont la principale est certainement celle de l'enseignement, qui évolue au fil de la succession des majorités gouvernementales et du bellicisme de l’Église catholique. Durant la période unioniste, le pouvoir confie l'enseignement au clergé qui possède les deux tiers des écoles. Même les écoles primaires que doivent organiser les communes peuvent être confiées à une école libre existante. Le cours de religion est inscrit au programme obligatoire et le clergé exerce un véritable droit de regard sur l'enseignement.
Dans les grandes villes, les libéraux créent des écoles publiques, y compris pour les filles, mais en dehors, l’Église est en général toute puissante. Au cours du siècle, on assiste à des avancées ou des reculs d'un enseignement officiel non confessionnel, et le sommet de ce combat se concrétise lors de la première guerre scolaire (1879–1884). Les enjeux : l'obligation de créer ou maintenir des écoles officielles, la formation des instituteurs, la place du cours de religion dans l'enseignement officiel, la subsidiation de ce dernier, sans oublier les pressions exercées sur les croyants qui enseignent dans l'officiel, ou qui y inscrivent leurs enfants, mais aussi la formation des infirmières laïques, les droits des femmes et leur instruction, l'enseignement pour les orphelins, la création d'écoles maternelles selon la méthode Fröbel.
L'autre grand combat concerne la lutte pour les funérailles civiles. Les cimetières sont aux mains de l’Église, donc terre consacrée, et les non croyants sont enterrés dans le « coin des damnés » ou « trou aux chiens ». Grâce à des associations en faveur des funérailles civiles, dès les années 1860, celles-ci se répandent mais le partage des cimetières est seulement acquis en 1891.
D'autres revendications ou initiatives commencent à pointer, mais attendront le XXe siècle pour arriver en pleine lumière. Parmi celles-ci, citons le droit à la crémation, la création d'orphelinats ou l'organisation de fêtes laïques.
Sources :
Dictionnaire historique de la laïcité en Belgique, sous la direction de Pol Defosse, Bruxelles, Luc Pire, 2005.
1789–1989, 200 ans de libre pensée en Belgique, Catalogue d’exposition, Bruxelles, Crédit communal,1989.