• Sylvie Lausberg
    Sylvie Lausberg
    directrice de la cellule Étude & Stratégie du Centre d‘Action Laïque

Droits des individus : avancées significatives et vigilance

Il y a cinquante ans, la société belge ouvrait enfin les fenêtres d’une société cadenassée par l’ordre des familles et une certaine conception de la morale publique, elle-même calquée sur les prescrits religieux catholiques.


La revendication laïque du bonheur ici et maintenant supposait de jeter par-dessus bord la condamnation du plaisir. De fait, la sexualité s’est depuis déconnectée de la reproduction, au grand dam des doctrinaires de la foi, arcboutés sur leur contrôle des âmes et des corps.

Les progrès concomitants de la recherche scientifique ont permis la planification familiale grâce à une contraception sûre dès les années 1960, puis les interruptions de grossesse hors hôpital avec la méthode par aspiration du Docteur Karman au milieu des années 1970. L’État et l’Église ont dû lâcher du lest, à reculons. En 1973, l’emprisonnement du Docteur Peers, inculpé pour avoir pratiqué des avortements, a débouché sur l’autorisation de… la contraception ; pour que l’interruption volontaire de grossesse sorte du Code pénal, il faudra attendre 2018 !

Dans l’intervalle, la Belgique s’était distinguée en légalisant le mariage pour tous en 2003 , l’adoption par les couples homosexuels en 2005, puis, en 2007, le recours à la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes. À rebours d’une population quasiment indifférente, la loi sur la PMA a provoqué une opposition publique des évêques de Belgique : « le droit de l’enfant est infiniment supérieur – même avant sa naissance – au droit à l’enfant ». Chaque mot compte… et ceux en italique auraient dû déjà nous mettre la puce à l’oreille.

Au même moment, la loi sur la possibilité de demander une euthanasie dans certaines conditions (2002) provoque un séisme dans les rangs catholiques. Dix ans après la mort du très chrétien roi Baudouin, la Belgique tourne définitivement le dos au carcan mortifère dans lequel la souffrance est une vertu et le cours de la vie régi par la main divine. La mort, la vie : l’enjeu sémantique était sous nos yeux tout comme le volontarisme des ouailles du saint-Père. Ayant apparemment plié sous la force du souffle laïque, elles n’en avaient pas pour autant rompu avec le projet d’imposer leur dogme : la vie et la mort doivent rester du ressort du divin, non de l’humain.

Parmi les libertés revendiquées et acquises par le mouvement laïque, le mariage pour tous a été légalisé le 30 janvier 2003 en Belgique. Le 21 juin, le premier mariage wallon était célébré à Liège. – CC-BY-NC-SA Flamenc – Wikimedia commons

Dans les milieux laïques, il ne fait alors aucun doute que la population dans son ensemble adhère à nos idéaux d’autodétermination, de libre expression et d’exercice des libertés. L’éducation populaire et la culture ouvrent des perspectives plus égalitaires, notamment entre les femmes et les hommes comme le stipule en 2002 un nouvel article de la Constitution. Face à cette modification radicale des rapports sociaux, les opposants à ce projet de société progressiste ne sont pas restés inactifs, notamment en refusant l’éducation sexuelle, citoyenne et philosophique à l’école, sans parler de la diabolisation de la soi-disant « théorie du genre ». Cette stratégie de reconquête des âmes s’est dangereusement réorganisée au plan international. D’abord sous l’impulsion du pape Jean-Paul II, avec ses Journées mondiales de la Jeunesse, ensuite par une alliance formelle au début du XXIe siècle entre religions catholique, orthodoxe et évangélique.

Et maintenant ?

Le droit des individus à vivre comme ils l’entendent ne peut s’exercer sans sa contrepartie : le difficile exercice de la liberté. Une liberté que l’on acquiert pour soi-même et que l’on reconnait aux autres. C’est le défi que nous devons relever, à l’heure où les idéologues – prometteurs de beaux jours ou des flammes de l’enfer – s’ancrent sur le terrain propice de l’angoisse, de l’incertitude et d’une violence sociale et institutionnelle qui engendrent des raidissements censés « remettre de l’ordre ». Face aux impositions orthodoxes personnelles et aux interdits collectifs brandis comme des garants de l’ordre social – alors que celui-ci n’est jamais qu’un agencement sans cesse à renégocier – la laïcité doit rouvrir des fenêtres et des alternatives. Racisme, sexisme, exclusives de toute sorte ont à nouveau droit de cité ; il nous faut reprendre vigoureusement le combat pour les libertés individuelles, contrées par ces idéaux religieux de pureté vertueuse et par des discours décomplexés d’assignation des individus en fonction de leur sexe, origine ou couleur de peau.

Oui, nous en sommes revenus là.


  1. Les articles du Titre VII du Code pénal – « Délits contre l’ordre des familles et la moralité publique » – sanctionnaient entre autres la contraception et l’avortement.
  2. L’homosexualité a été dépénalisée en 1972.
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