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Gilles Boëtsch,
anthropobiologiste et directeur de recherche au CNRS (UMIESS – Dakar)
Le poids de la Science dans la perpétuation du racisme
Parce que tout un chacun peut observer des différences morphologiques entre humains, on a pensé que cette variabilité était facilement mesurable, quantifiable et qu’elle pouvait constituer un objet d’étude pour la science. Les anthropologues physiques du XIXe siècle passeront une grande partie de leur temps à proposer des modèles classificatoires toujours plus subtiles et plus sophistiqués à partir d’arrangements morphologiques assez incongrus, chaque auteur montrant une ingéniosité particulière à privilégier tel ou tel caractère se limitant d’ailleurs à peu de chose : la couleur de la peau, des yeux et des cheveux, la stature et l’indice céphalique (rapport de la largeur à la longueur de la tête). Mais la classification des humains en entités « raciales » cohérentes sera un échec et critiquée par Charles Darwin de manière catégorique (1871). Avec la découverte de la génétique, un certain nombre de scientifiques ont pensé pouvoir utiliser les groupes sanguins (érythrocytaires puis HLA) comme marqueurs identitaires « raciologiques ». Mais ils produisirent une typologie encore plus rigide que celle proposée par la morphologie anatomique et la couleur cutanée dont s’emparèrent certains généticiens.
En réalité, si les populations humaines sont hétérogènes, c’est à la fois parce que les individus qui les composent possèdent un patrimoine héréditaire commun caractéristique de l’espèce, mais aussi parce que celui-ci varie d’un individu à l’autre (sauf chez les vrais jumeaux) : il y aurait entre un et six milliards de « races ». C’est ce qu’ont apporté au débat d’autres généticiens comme Gustave Malécot, Albert Jacquard, Newton Morton, André Langaney ou Luigi Luca Cavalli-Sforza. La notion de « race géographique » est acceptable dans le règne animal ou végétal si tous les gradients (ndlr : unité de mesure propre aux sciences) génétiques, morphologiques et géographiques sont superposables ; or, il n’en est rien chez l’homme car sa biologie est gouvernée par sa culture. Malgré ces évidences, l’idée de hiérarchie entre les « races » s’est pourtant imposée comme l’élément idéologique dominant de l’histoire du monde, et dans l’espace colonial cette notion va s’imposer pour justifier la domination « naturelle » des « races supérieures » sur les « races inférieures ».
On sait qu’au niveau social et politique l’usage du mot « race » est toujours fréquent, mais on aurait pu penser que le débat scientifique sur la question de la « race » chez l’homme était réglé. Il n’en est rien car dans des laboratoires pharmaceutiques américains, on a promu le concept de « race-related therapeutics » qui propose des médicaments qui seraient spécifiques à tel ou tel groupe humain. Ces produits génèrent un chiffre d’affaires élevé significatif mais ne valident en aucun cas le concept de « races » humaines et sont régulièrement dénoncés comme de l’imposture par les biologistes.
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