• Lilian Thuram
    Lilian Thuram
    président de la Fondation Lilian Thuram – Éducation contre le racisme
Propos recueillis par Charlotte Collot

Éduquer contre le racisme pour mieux le combattre

Ancien joueur de football professionnel, Lilian Thuram a créé en 2008 la fondation Éducation contre le racisme qui porte son nom. Il est le commissaire général de l’exposition Exhibitions. L’invention du sauvage, présentée au Musée du Quai Branly en 2011.

Salut & Fraternité : Vous avez mis votre notoriété au service de l’éducation contre le racisme et toutes les formes de discrimination en créant votre fondation. Pourquoi ?

Lilian Thuram : C’est un peu l’histoire d’une vie. Je dis toujours que je suis devenu noir à neuf ans, lorsque je suis arrivé en région parisienne. J’ai découvert un dessin animé avec deux vaches, une blanche très intelligente et une noire très stupide. Certains de mes camarades m’appelaient du nom de cette vache noire, la Noiraude. C’est là que j’ai perdu mon prénom pour être un noir, le noir, sachant que j’étais le seul petit garçon noir de ma classe. Quand vous « devenez » noir, vous comprenez que vous êtes vu d’une façon négative et inférieure par rapport aux personnes de couleur blanche. J’ai toujours essayé de comprendre pourquoi. Grâce à des lectures, des rencontres, j’ai compris que le racisme, le sexisme, l’homophobie, toutes les inégalités étaient liées à notre culture et que de façon inconsciente, nous les reproduisions.

Grâce à des lectures, des rencontres, j’ai compris que le racisme, le sexisme, l’homophobie, toutes les inégalités étaient liées à notre culture et que de façon inconsciente, nous les reproduisions.

Devenu joueur de football professionnel, j’ai trouvé intéressant de profiter de ma notoriété pour questionner la société et notamment les enfants et les jeunes. Expliquer que le racisme n’est pas quelque chose de naturel. On ne naît pas raciste, on le devient par conditionnement familial, culturel, historique, etc. Quand les enfants sont petits, ils ne perçoivent pas les couleurs de peau. Ils les perçoivent à partir du moment où, nous adultes, nous leur imposons nos classifications. Il faut montrer et expliquer que c’est l’histoire qui nous enferme dans ces identités liées à la couleur de peau.

S&F : Comment le racisme se manifeste-t-il aujourd’hui et comment le combattre ?

L.T. : Le racisme, c’est avant tout une question de domination. La domination la plus visible et la plus ancienne dans notre société, c’est celle des hommes sur les femmes. C’est visible dans les postes à haute responsabilité, au niveau des salaires, des opportunités, etc. Car quand vous êtes un homme, on vous imagine pouvoir tout faire. Selon votre couleur de peau, les opportunités ne sont pas non plus les mêmes. Il existe aussi une domination liée à la sexualité. Certaines personnes hétérosexuelles pensent avoir la légitimité de décider ce que l’autre a le droit ou non de faire et d’être. Prenons l’exemple, en France, des manifestations contre le mariage pour tous.

Beaucoup de gens n’ont pas conscience de ces dominations car ils ne subissent pas le racisme. Souvent, les personnes de couleur blanche n’ont pas conscience d’être blanches. Elles ne se sont jamais posé la question. Néanmoins, historiquement et inconsciemment, elles ont appris à se penser différentes, meilleures et supérieures. C’est pourquoi il faut questionner, déconstruire les façons de penser et les croyances. Quand on parle de racisme, de sexisme, d’homophobie, on parle avant tout d’égalité. Il faut éduquer les gens à percevoir les inégalités et à défendre l’égalité entre tous les êtres humains.

« On ne naît pas raciste, on le devient». C’est pourquoi il faut éduquer les gens à percevoir les inégalités et à défendre l’égalité entre tous. © Flickr.com – °]°

S&F : Vous avez collaboré avec l’ACHAC à la création de l’exposition sur les zoos humains. Comment et pourquoi est née cette exposition ?

L.T. : Cette exposition est née de ma rencontre avec Pascal Blanchard1. C’était très important pour moi de montrer que la façon de nous percevoir à travers nos couleurs de peau a une histoire. Le racisme est une construction intellectuelle, politique et économique. La première fois que les personnes de couleur blanche, en Europe, ont vu des personnes venues d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, des Amériques, c’était à travers un prisme où on les présentait comme des « sauvages ». Ces exhibitions ont légitimé une hiérarchie des « prétendues races ».

Le racisme est une construction intellectuelle, politique et économique. La première fois que les personnes de couleur blanche, en Europe, ont vu des personnes venues d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, des Amériques, c’était à travers un prisme où on les présentait comme des « sauvages ». Ces exhibitions ont légitimé une hiérarchie des « prétendues races ».

Cette exposition est née de la volonté d’expliquer « le pourquoi du racisme » et d’inciter une réflexion plus large sur l’altérité et nos propres préjugés.

S&F : Quels sont les autres projets de votre fondation ?

L.T. : Nous effectuons beaucoup de déplacements en France ou à l’étranger, dans les écoles et les universités, pour éduquer les jeunes à ces questions. Nous avons édité des livres, dont Mes étoiles noires2 et récemment la BD Tous super-héros3 pour les enfants. Nous coréalisons des expositions, comme celle dont nous parlons ainsi que Être humain pour les plus jeunes. Chaque animation, réalisation et projet a pour but de diffuser, et surtout d’enseigner, les connaissances scientifiques fondamentales indispensables pour structurer une pensée humaniste.


  1. Voir article page 4.
  2. Mes étoiles noires, de Lucy à Barack Obama, de Lilian Thuram, Paris, Éd. Philippe Rey, 400 pages.
  3. Tous super héros, de Lilian Thuram, Jean-Christophe Camus et Benjamin Chaud Préface de Lionel Messi, Paris, Éd. Delcourt.
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