- Roger Dehaybe,
administrateur général honoraire de la Francophonie
Le dialogue des cultures pour le développement et la paix
La question du « vivre ensemble », le rapport à l’« altérité » et, hélas, l’intolérance s’inscrivent, de nouveau, et de manière violente, dans l’actualité. Les meurtres pratiqués par des fondamentalistes religieux, les injures racistes à l’égard de ministres noirs, la profanation de cimetières juifs et musulmans, ne sont, hélas, que l’expression la plus visible et la plus brutale d’un malaise exploité par des mouvements d’extrême droite et entretenu par des intellectuels qui tentent, aujourd’hui, de théoriser le message de l’exclusion.
On aurait tort de croire qu’il s’agit là d’un phénomène récent lié à l’actualité politique (par exemple les prochaines élections municipales en France) ou à l’accroissement de l’immigration vers les pays industrialisés. Mais ce n’est pas le cas. Rappelons-nous que, dans les années 30 en Europe, l’antisémitisme était largement partagé. C’est l’horreur de la Shoah et sa réprobation qui ont contraint les racistes à la discrétion. Aujourd’hui, proclamant l’épouvantail de la crise, le message de l’exclusion est banalisé et la parole est libérée ; les racistes peuvent donc sortir au grand jour.
Exclure ou marginaliser l’autre parce qu’il semble différent est, malheureusement, une pratique largement constatée dans l’ensemble du monde ! Selon le rapport du PNUD (Nations Unies) sur le développement humain (2004), près d’un milliard de personnes sont victimes d’exclusion liée à leur mode de vie.

À travers toute l’histoire de l’humanité, dans tous les pays, s’est imposée l’idée qu’une idéologie donnée, un mode de vie imposé à chacun, peut, seule, assurer le bien-être du plus grand nombre. C’est ce même discours qui est tenu, aujourd’hui, par ceux qui, fiers d’une « identité » autant culturelle que sociale, exigent que l’étranger « s’intègre ».
Si s’intégrer, c’est accepter un certain nombre de règles communes, on ne peut que souscrire à ce discours. Mais cette adhésion ne peut conduire à ignorer la richesse de sa propre histoire, oublier la culture et la langue de son peuple, bref nier une identité à partager. La question de la diversité culturelle n’est donc pas un simple sujet de débat ou d’études pour ethnologues ou philosophes. C’est une question centrale qui concerne tant la dimension sociale que la dimension politique et, dès lors, ni les intellectuels ni les politiques ne peuvent éluder la question du « vivre ensemble ».
Contrairement à la France qui avait tenté ce débat, si dangereux, sur « l’identité nationale », c’est au contraire la richesse de la diversité que nous devons mettre en avant en cherchant à organiser une relation d’échanges permettant à chacun de bénéficier de « l’autre créativité ».
Seule une pédagogie constante et une vigilance de tous les instants peuvent conduire les citoyens à adhérer à une conception du monde qui refuse cette pseudo hiérarchie des cultures largement utilisée comme justification de toutes les exclusions et oppressions.
Au-delà de la dimension éthique de la question de la tolérance, et puisque les discours haineux montrent du doigt l’étranger comme responsable du chômage, faut-il rappeler que pour assurer son développement, l’Europe aura besoin, dans les vingt prochaines années, de plusieurs dizaines de millions de nouveaux arrivants. Ceci au même titre qu’en Californie, 30 % des entreprises de la Silicon Valley ont été créées par des promoteurs originaires de Chine ou d’Inde. Le chanteur Stromae est un métis rwandais et Leonora Miaro, prix Fémina 2013 est camerounaise.
Des manifestes, des conventions internationales, des règlements et des lois ne peuvent suffire à faire entrer la tolérance dans le quotidien des peuples. Seule une pédagogie constante et une vigilance de tous les instants peuvent conduire les citoyens à adhérer à une conception du monde qui refuse cette pseudo hiérarchie des cultures largement utilisée comme justification de toutes les exclusions et oppressions.
C’est bien là le propos de l’asbl Mnema à la Cité Miroir qui, par son programme « Dialogue des cultures », va donner la parole à des personnalités qui expliqueront à la jeunesse que le respect de la diversité culturelle est la seule voie pour contribuer au développement et à la paix. Ils illustreront par leur expérience et leur témoignage les pensées de Saint-Exupéry : « Si tu es différent, mon frère, tu m’enrichis » et surtout de Senghor : « S’enrichir de nos différences pour construire la civilisation de l’universel ».
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