- Serge Rangoni,
directeur général du Théâtre de Liège
La culture est-elle une arme anti-crise ?
La culture, et son accès à tous, constitue à mon sens l’enjeu central de ces années de crise. En 2008, au commencement de la grave crise économique que nous traversons et dont nous pressentons qu’elle constitue le signe d’un changement profond de nos sociétés, nous étions nombreux à penser que les valeurs humanistes, que les aspirations spirituelles allaient enfin prendre le pas sur les valeurs matérialistes qui envahissent tous nos espaces. Jusqu’ici, il n’en a cependant rien été. Bien au contraire, la contraction économique, qui touche plus durement les plus démunis, a encore concentré toute l’attention sur les biens et les moyens nécessaires à leur acquisition. Mais de retour au sens de nos vies, à l’essence de nos rapports humains et sociaux, point, ou très peu.
Au début des années 2000, le professeur Richard Florida mène aux Etats-Unis des études tendant à mesurer l'attractivité des villes à l'aune de la « classe créative » qui y habite et qui participe ainsi à leur essor économique. Le secteur culturel européen y a puisé des justifications compréhensibles et solides dans son dialogue avec les pouvoirs publics, en faisant valoir son poids économique.
Les institutions européennes se sont elles aussi emparées de ce secteur de l'économie de la culture et de nombreuses institutions culturelles ont commandé des études mesurant le retour des investissements publics en termes économiques.
Le discours politique s'est lui aussi structuré autour de ces données, jusqu'à rendre, sur le plan de la pensée, extrêmement ténue la différence entre gauche et droite. Partant de « Être acteur de sa propre vie » nous voilà arrivés à « Tout artiste n'est-il pas son propre producteur ? », un glissement libéral bien dans l'air du temps, une idée largement répandue à gauche comme à droite.
Or, la question centrale qui se pose aujourd'hui n'est-elle pas d'affranchir les modes de pensée des citoyens, pour les rendre libres d'imaginer, de choisir et de réaliser leurs rapports humains et sociaux ? C'est cela l'essence de la culture, sa raison d'être. D'autant plus que la somme des connaissances disponibles s'est considérablement élargie et que le sentiment de devoir renoncer à appréhender le territoire mondial de la connaissance domine. Tout notre système ethnocentriste européen a ainsi été profondément mis en doute, conduisant certains à volontairement restreindre leur territoire, à se construire une citadelle culturelle (et souvent nationale) fortifiée pour résister à ce « regard mondial ». Mais c'est uniquement lorsque nous savons pertinemment qui nous sommes, d'où nous venons, d'où et à qui nous parlons, que nous n'avons plus peur de nous confronter à d'autres manières de voir ou de penser. Pour ces raisons il est essentiel de garantir l'accès à nos institutions culturelles, indispensable de préserver et encourager les expressions artistiques les plus variées qui posent des regards multiples sur la société qui nous entoure.
Notre tâche sera, dans les années à venir, de concilier l'ancrage local, source d'une culture commune sur un territoire donné (une ville, une région) et de l'articuler, sans l'opposer, avec les regards différents venus d'autres endroits du monde. En cela, Liège jouit d'un immense privilège, disposant d'une vie associative d'une exceptionnelle richesse, d'institutions culturelles dynamiques et de premier plan, d'une ouverture au monde que beaucoup nous envient et qui se trouve facilitée par notre situation géographique.
L'ouverture de la Cité Miroir, telle que l'a conçue son équipe, ajoutera une pierre essentielle à l'édifice. Qu'elle vive à jamais !
Liège soigne ses institutions culturelles
Ces dernières années, plusieurs lieux de culture liégeois ont connu une rénovation d'envergure.Le Musée de la Vie Wallonne, qui dépend de la Province de Liège, a ouvert ses portes en septembre 2008 après une rénovation qui a duré plus de 4 ans. Un an plus tard, le Grand Curtius était enfin accessible aux visiteurs après une quinzaine d'années de travaux à rebondissements.
Le Théâtre Royal de Liège, qui abrite l'Opéra royal de Wallonie, a été rénové entre mars 2010 et septembre 2012. Les travaux se sont déroulés en deux phases : le renouvellement de l'équipement scénographique et la restauration de l'édifice proprement dit.
Le Théâtre de Liège est, quant à lui, né de la réaffectation et de l'extension du bâtiment de la Société Libre d'émulation qui a eu lieu de début 2011 à septembre 2013.
Au rayon des prochains travaux, le Musée d'Art moderne et d'Art contemporain (MAMAC) a été fermé en mai dernier. Au terme d'un lifting bien mérité, il deviendra le Centre International d'Art et de Culture (CIAC).
Autre projet d'envergure : un Centre du Design, véritable reflet du travail de jeunes créateurs, sera construit dans le quartier des Guillemins. Le permis est actuellement en cours de traitement administratif.
Enfin, il est impossible de parler de l'ouverture de la Cité Miroir sans dire un mot de la place Xavier Neujean qui sera transformée en piétonnier dans les prochaines années.