• Christine Bika
    Christine Bika
    administratrice Amnesty International Belgique Francophone ASBL

L’expression à la source des droits humains ?

L’article 19 de la Décla­ra­tion univer­selle des droits de l’Homme traite de la liberté d’expression en ces termes : « tout indi­vidu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de cher­cher, de rece­voir et de répandre, sans consi­dé­ra­tions de fron­tières, les infor­ma­tions et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. » La défense de la liberté d’expression a été le motif prin­ci­pal de la fonda­tion d’Amnesty Inter­na­tio­nal en 1961 et a, depuis, toujours été au cœur de son travail.

Depuis sa créa­tion, elle a fait campagne pour des milliers de prison­niers d’opinion : des personnes déte­nues en raison de leurs convic­tions, notam­ment poli­tiques ou reli­gieuses, de leur appar­te­nance ethnique, de leur sexe, de leur langue, de la couleur de leur peau, de leur origine natio­nale ou sociale, de leur fortune, de leur orien­ta­tion sexuelle, de leur nais­sance ou de toute autre situation.

La liberté d’expression reste l’indispensable pièce d’un puzzle dans lequel les droits et liber­tés s’interpénètrent. CC-BY-NC-SA Flickr​.com – Philippe Leroyer

Pour Amnesty les droits humains, tels qu’énoncés dans la Décla­ra­tion univer­selle des droits de l’Homme de 1948, sont univer­sels et inter­dé­pen­dants. Et puisqu’ils sont inter­dé­pen­dants, on ne peut établir une hiérar­chie entre eux : il n’y a pas de droits prin­ci­paux et droits secon­daires… on ne peut défendre les uns sans défendre les autres, les droits humains doivent avan­cer et évoluer ensemble.

Inter­net et démocraties

Bien sûr, la liberté d’expression est essen­tielle à l’exercice d’autres liber­tés. Elle est étroi­te­ment liée au droit d’avoir un point de vue et au droit à la liberté de pensée, d’opinion et de reli­gion. Comment se forger une opinion si le droit de rece­voir et d’échanger libre­ment des idées et des infor­ma­tions n’est pas garanti, si les livres et la presse sont censu­rés, l’accès aux moyens d’information bridé ? Si l’on ne peut infor­mer libre­ment, comment créer des asso­cia­tions ‑des syndi­cats par exemple‑, en répandre les idées, convo­quer et se réunir ? Les entraves à la liberté d’expression, entravent égale­ment l’exercice de la liberté d’association…

Sans liberté d’expression (et donc, de commu­ni­ca­tion), pas ou peu de mobi­li­sa­tion citoyenne : il est signi­fi­ca­tif que des révoltes, quali­fiées de Prin­temps arabe, aient éclaté dans les pays du Magh­reb, dès lors que les moyens de commu­ni­ca­tion se furent propa­gés et démocratisés.

Sans liberté d’expression (et donc, de commu­ni­ca­tion), pas ou peu de mobi­li­sa­tion citoyenne : il est signi­fi­ca­tif que des révoltes, quali­fiées de Prin­temps arabe, aient éclaté dans les pays du Magh­reb, dès lors que les moyens de commu­ni­ca­tion se furent propa­gés et démo­cra­ti­sés. Les États ont souvent invo­qué, par le passé, les impé­ra­tifs de la « sécu­rité natio­nale » pour justi­fier une poli­tique visant à faire taire l’opposition poli­tique et, plus géné­ra­le­ment, les critiques. Dans les années 80–90 le gouver­ne­ment du Soudan recen­sait les fax, les copieurs et les lieux où ils étaient instal­lés, coupait régu­liè­re­ment les lignes télé­pho­niques. Cette main basse sur les moyens de commu­ni­ca­tion est aujourd’hui deve­nue impos­sible en pratique tant les réseaux de diffu­sion sont inter­na­tio­naux et liés… L’usage de l’Internet, la démo­cra­ti­sa­tion des télé­phones mobiles ont ouvert de nouveaux hori­zons aux personnes et aux groupes qui sont à la recherche d’informations à parta­ger et qui sont inté­res­sés par les débats d’idées.

Le Prin­temps arabe n’a‑t-il pas montré que cette liberté se conquiert ? Certes, les peuples tuni­sien et égyp­tien se sont expri­més avec force… mais cette liberté d’expression trop long­temps bridée, si elle a trouvé à s’exprimer, si elle est aujourd’hui conquise, n’est pas une fin en soi ; elle reste l’indispensable pièce d’un puzzle dans lequel les droits et liber­tés s’interpénètrent ; et s’il fallait se débar­ras­ser des dicta­teurs, les événe­ments récents nous montrent bien que la dicta­ture ne dispa­raît pas avec leur départ. Il reste ensuite à construire un État de droit, garan­tis­sant les droits et liber­tés des citoyens et ce n’est pas une mince affaire.

Une pièce du puzzle

La liberté d’expression et de débattre est une des étapes de ce proces­sus, un élément essen­tiel, une condi­tion néces­saire mais non suffi­sante. Sans liberté d’expression, pas de débat franc et ouvert or la fran­chise des débats et le respect des droits humains sont seuls capables d’offrir un cadre permet­tant la (re)construction d’un état de droit, respec­tueux de ses citoyens, garan­tis­sant les droits et liber­tés ainsi qu’une sécu­rité et un déve­lop­pe­ment durables. Reste à répondre à la ques­tion suivante : la liberté d’expression est-elle abso­lue ? Confronté à la ques­tion le mouve­ment a placé sa balise de manière claire : en matière de liberté d’expression, la liberté des uns est limi­tée par les droits des autres et ceux qui prônent la haine, la discri­mi­na­tion ou la violence ne seront pas adop­tés en tant que prison­niers d’opinion.

< Retour au sommaire