-
Marc Demeuse,
Institut d’Administration scolaire de l'Université de Mons
La mixité sociale, un enjeu fondamental ?
Lors des discussions autour des trois décrets sur la régulation des inscriptions au premier degré de l’enseignement secondaire portés successivement par les ministres Arena, Dupont et Simonet, la mixité sociale a été très largement évoquée (y compris dans le titre du second décret).
Si on néglige les interventions franchement hostiles à toute forme de mixité sociale, les oppositions à ces décrets peuvent se répartir en deux catégories principales. La première regroupe les « sceptiques » : l’objectif est louable (lutter contre les inégalités sociales), mais les moyens (l’instauration d’une plus grande mixité sociale ne permet pas nécessairement d’atteindre cet objectif). Dans la seconde catégorie, ce sont plutôt les « fatalistes » que l’on retrouve : il y a toujours eu des inégalités sociales et l’école est le reflet de la société… on ne peut rendre l’école plus juste sans changer d’abord la société. Malheureusement, l’analyse de la situation des tenants de ces deux positions conduit assez rapidement, pour une majorité d’entre eux, à se rendre compte que le statu quo est loin de leur être défavorable.
En ce qui concerne la mixité sociale comme moyen, il peut montrer que celle-ci n’est pas un handicap, contrairement au modèle que certains colportent sur la base de raisonnements simplistes et intéressés, leur permettant de bénéficier d’un financement public, tout en restant « entre gens de bonne compagnie ».
C’est l’idée même de liberté qui est en fait au cœur du débat pour les opposants aux décrets : celle-ci doit primer sur toute autre valeur et la régulation du système éducatif doit donc être proscrite car elle limite cette liberté. Le fameux slogan « la mixité sociale ne se décrète pas » sert alors d’argument, comme si la mixité sociale pouvait mieux se réaliser dans notre système par la seule volonté des acteurs (on se prend alors a entendre en écho les réflexions des banquiers sur la régulation des marchés : « faites-nous confiance, nous avons des codes d’éthiques… »). Par contre, très peu de débats ont eu lieu autour des décrets organisant l’encadrement différencié ou instaurant les discriminations positives, en dehors d’un épisode récent, baptisé « décret Robin des Bois », comme si le fait d’un peu mieux financer les écoles qui scolarisent massivement des publics particulièrement défavorisés permettait de s’affranchir de l’existence d’écoles ghettos.
![](https://www.calliege.be/wp-content/uploads/2018/04/La-mixité-sociale-un-enjeu-fondamental.jpg)
Notre système est l’un des moins régulés… et l’un de ceux où la mixité sociale est la plus faible des pays industrialisés. L’organisation de l’école en quasi-marché scolaire, comme c’est le cas chez nous, ne conduit pas naturellement à la mixité, mais à la ségrégation. Celle-ci peut être définie comme la « traduction de différences sociales dans l’espace. Elle se manifeste dès que des individus, classés par la société dans des catégories sociales distinctes, dotées d’une valorisation sociale différenciée, se trouvent séparés dans l’espace et sont ainsi amenés à peu se côtoyer »1 .
La mixité sociale à l’école où l’on apprend des connaissances, mais aussi à construire sa personnalité et sa manière d’être avec d’autres, est à la fois un objectif (vivre ensemble et faire société) et un moyen (améliorer les apprentissages de tous en évitant la relégation de certains). Par rapport à l’objectif, le chercheur en éducation n’est pas beaucoup mieux armé que tout autre citoyen, il ne lui appartient pas de définir la société dans laquelle nous souhaitons vivre, mais il peut souligner les incohérences entre certaines déclarations et les faits observés. En ce qui concerne la mixité sociale comme moyen, il peut montrer que celle-ci n’est pas un handicap, contrairement au modèle que certains colportent sur la base de raisonnements simplistes et intéressés, leur permettant de bénéficier d’un financement public, tout en restant « entre gens de bonne compagnie ». La mixité sociale ne nuit pourtant pas aux mieux nantis alors qu’elle profite aux autres.
Malheureusement, il ne suffit pas de rendre davantage mixtes les écoles socialement très sélectives si celles-ci ne modifient pas leurs pratiques, y compris avec les élèves socialement favorisés… C’est sans doute là que réside le défi !
- Delvaux, B. (2005). Ségrégation scolaire dans un contexte de libre choix et de ségrégation résidentielle. In M. Demeuse, A. Baye, M.H. Straeten, J. Nicaise, A. Matoul (eds). (2005). Vers une école juste et efficace. 26 contributions sur les systèmes d’enseignement et de formation. Bruxelles : De Boeck Université, collection “Économie, Société, Région”.