• Marc Demeuse
    Marc Demeuse
    Institut d’Administration scolaire de l'Université de Mons

La mixité sociale, un enjeu fondamental ?

Lors des discus­sions autour des trois décrets sur la régu­la­tion des inscrip­tions au premier degré de l’enseignement secon­daire portés succes­si­ve­ment par les ministres Arena, Dupont et Simo­net, la mixité sociale a été très large­ment évoquée (y compris dans le titre du second décret).

Si on néglige les inter­ven­tions fran­che­ment hostiles à toute forme de mixité sociale, les oppo­si­tions à ces décrets peuvent se répar­tir en deux caté­go­ries prin­ci­pales. La première regroupe les « scep­tiques » : l’objectif est louable (lutter contre les inéga­li­tés sociales), mais les moyens (l’instauration d’une plus grande mixité sociale ne permet pas néces­sai­re­ment d’atteindre cet objec­tif). Dans la seconde caté­go­rie, ce sont plutôt les « fata­listes » que l’on retrouve : il y a toujours eu des inéga­li­tés sociales et l’école est le reflet de la société… on ne peut rendre l’école plus juste sans chan­ger d’abord la société. Malheu­reu­se­ment, l’analyse de la situa­tion des tenants de ces deux posi­tions conduit assez rapi­de­ment, pour une majo­rité d’entre eux, à se rendre compte que le statu quo est loin de leur être défavorable.

En ce qui concerne la mixité sociale comme moyen, il peut montrer que celle-ci n’est pas un handi­cap, contrai­re­ment au modèle que certains colportent sur la base de raison­ne­ments simplistes et inté­res­sés, leur permet­tant de béné­fi­cier d’un finan­ce­ment public, tout en restant « entre gens de bonne compagnie ».

C’est l’idée même de liberté qui est en fait au cœur du débat pour les oppo­sants aux décrets : celle-ci doit primer sur toute autre valeur et la régu­la­tion du système éduca­tif doit donc être pros­crite car elle limite cette liberté. Le fameux slogan « la mixité sociale ne se décrète pas » sert alors d’argument, comme si la mixité sociale pouvait mieux se réali­ser dans notre système par la seule volonté des acteurs (on se prend alors a entendre en écho les réflexions des banquiers sur la régu­la­tion des marchés : « faites-nous confiance, nous avons des codes d’éthiques… »). Par contre, très peu de débats ont eu lieu autour des décrets orga­ni­sant l’encadrement diffé­ren­cié ou instau­rant les discri­mi­na­tions posi­tives, en dehors d’un épisode récent, baptisé « décret Robin des Bois », comme si le fait d’un peu mieux finan­cer les écoles qui scola­risent massi­ve­ment des publics parti­cu­liè­re­ment défa­vo­ri­sés permet­tait de s’affranchir de l’existence d’écoles ghettos.

CC-BY-NC-SA Flickr​.com – Mangee – 2011

Notre système est l’un des moins régu­lés… et l’un de ceux où la mixité sociale est la plus faible des pays indus­tria­li­sés. L’organisation de l’école en quasi-marché scolaire, comme c’est le cas chez nous, ne conduit pas natu­rel­le­ment à la mixité, mais à la ségré­ga­tion. Celle-ci peut être défi­nie comme la « traduc­tion de diffé­rences sociales dans l’espace. Elle se mani­feste dès que des indi­vi­dus, clas­sés par la société dans des caté­go­ries sociales distinctes, dotées d’une valo­ri­sa­tion sociale diffé­ren­ciée, se trouvent sépa­rés dans l’espace et sont ainsi amenés à peu se côtoyer »1 .

La mixité sociale à l’école où l’on apprend des connais­sances, mais aussi à construire sa person­na­lité et sa manière d’être avec d’autres, est à la fois un objec­tif (vivre ensemble et faire société) et un moyen (amélio­rer les appren­tis­sages de tous en évitant la relé­ga­tion de certains). Par rapport à l’objectif, le cher­cheur en éduca­tion n’est pas beau­coup mieux armé que tout autre citoyen, il ne lui appar­tient pas de défi­nir la société dans laquelle nous souhai­tons vivre, mais il peut souli­gner les inco­hé­rences entre certaines décla­ra­tions et les faits obser­vés. En ce qui concerne la mixité sociale comme moyen, il peut montrer que celle-ci n’est pas un handi­cap, contrai­re­ment au modèle que certains colportent sur la base de raison­ne­ments simplistes et inté­res­sés, leur permet­tant de béné­fi­cier d’un finan­ce­ment public, tout en restant « entre gens de bonne compa­gnie ». La mixité sociale ne nuit pour­tant pas aux mieux nantis alors qu’elle profite aux autres.

Malheu­reu­se­ment, il ne suffit pas de rendre davan­tage mixtes les écoles socia­le­ment très sélec­tives si celles-ci ne modi­fient pas leurs pratiques, y compris avec les élèves socia­le­ment favo­ri­sés… C’est sans doute là que réside le défi !


  1. Delvaux, B. (2005). Ségré­ga­tion scolaire dans un contexte de libre choix et de ségré­ga­tion rési­den­tielle. In M. Demeuse, A. Baye, M.H. Strae­ten, J. Nicaise, A. Matoul (eds). (2005). Vers une école juste et effi­cace. 26 contri­bu­tions sur les systèmes d’enseignement et de forma­tion. Bruxelles : De Boeck Univer­sité, collec­tion “Écono­mie, Société, Région”.
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