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Benoît Van der Meerschen,
président de la Ligue des Droits de l’Homme
Les droits de l’Homme, une utopie mobilisatrice ?
Les droits de l’Homme constituent un ensemble de principes juridiques et éthiques fondamentaux qui ont vocation à s’appliquer aux individus, aux communautés et aux peuples et qui ont pour but de protéger les prérogatives inhérentes à tout être humain et à tous les êtres humains pris collectivement en raison de l’existence d’une « dignité » attachée à leur personne et justifiée par leur seule condition humaine.
Mais, depuis leur proclamation, les droits de l’Homme ont été tiraillés entre leur aspiration à l’universalisme et l’expérience de leur confrontation à la diversité culturelle. Ces tiraillements se sont accentués au fur et à mesure que les rapports de forces et les bouleversements internationaux – illustrés aujourd’hui par les processus de mondialisation – ont suscité de puissantes réactions identitaires.
Ainsi, selon certains, les spécificités culturelles ne s’accommoderaient pas des droits humains.
Force est de constater cependant que, le plus souvent, ce discours est tenu par les dirigeants d’États peu scrupuleux en matière de respect des droits de l’Homme et, également, trop heureux de maintenir leurs populations dans des situations de non-droit dont ils restent les seuls bénéficiaires. Comme le souligne Dan Van Raemdonck, vice-président de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme, « il est incongru de penser que la torture puisse être une spécificité culturelle chinoise, que le régime à parti unique appartienne à la culture africaine ou que les centres fermés pour étrangers soient un pur produit européen. »
Alors certes, même si les droits de l’Homme sont essentiellement d’essence occidentale (à titre d’exemple, les pays colonisés, à l’époque de la Déclaration universelle des droits de l’Homme en 1948, n’ont pas eu voix au chapitre), cela n’empêche pas ces droits de se révéler, de temps en temps, un outil efficace.
Universel et singulier
En réalité, pour les défenseurs des droits de l’Homme, l’universalité de ceux-ci n’implique nullement la suppression des différences, ni l’uniformisation des cultures. Parce que l’universel se nourrit du singulier, il n’est pas d’authentique culture de l’universel qui ne soit, d’un même mouvement, culture de la diversité. La référence à l’universalité des droits humains implique donc la prise en compte du droit de préserver la culture dont on est nourri et les traditions dont on est issu.
Parce que l’universel se nourrit du singulier, il n’est pas d’authentique culture de l’universel qui ne soit, d’un même mouvement, culture de la diversité. La référence à l’universalité des droits humains implique donc la prise en compte du droit de préserver la culture dont on est nourri et les traditions dont on est issu.
Ce qu’il faut précisément éviter, c’est le sacrifice de cultures particulières : ne pas considérer l’universalité comme un postulat intangible, accepter de la refonder par la rencontre de l’autre et par la discussion, la concevoir comme une oeuvre à faire, à laquelle tous doivent participer. Ce qui nous oblige à nous regarder dans le miroir et à dénoncer les violations des droits de l’Homme aussi au sein de l’Union européenne : nul n’est à l’abri de ces violations ; nous n’avons pas de leçon à donner en matière de respect des droits de l’Homme.
Plus que de l’utopie, un cahier d’exigences
Le véritable universalisme, c’est-à-dire non pas masque abstrait d’une domination qui emprunte des formes renouvelées mais attachement à l’égalité et à la dimension universalisante du singulier, est le contraire même de la globalisation impériale, en ce qu’il repose sur le respect de la pluralité des chemins de civilisation… dès lors qu’est garanti le noyau commun de ce qui fait l’humanité.
La Déclaration universelle des droits de l’Homme énonce l’essentiel de ce noyau commun : sûreté, liberté et dignité égales pour tous les êtres humains. Car quels que soient les endroits, les époques et les sociétés, il n’est pas d’être humain qui souhaite être tué, torturé, humilié ou réduit en esclavage. Mais dès lors que « l’humanité de l’humanité » est ainsi mise hors de débat et de modulations, tout le reste relève de chaque peuple, de chaque société, de chaque civilisation maîtresse de son propre destin. Cela suppose évidemment le rejet de la conception d’une prétendue hiérarchie des civilisations et aussi la construction d’un autre ordre mondial économique, social et culturel, c’est-à-dire de régulations qui protègent les hommes et les peuples contre la logique de la globalisation impériale, contre la marchandisation universelle et la standardisation du monde. Cette lutte contre les inégalités doit être l’objet de notre mobilisation.
Mais cet autre chemin ne peut être emprunté à moitié…
La Déclaration universelle des droits de l’Homme énonce l’essentiel de ce noyau commun : sûreté, liberté et dignité égales pour tous les êtres humains. Car quels que soient les endroits, les époques et les sociétés, il n’est pas d’être humain qui souhaite être tué, torturé, humilié ou réduit en esclavage.
Et pour nous guider, dans ce monde truffé d’incertitudes, les droits de l’Homme sont une boussole. Ils sont une merveilleuse construction humaine, juridique certes, mais dynamique dans sa constante évolution à travers les déclarations et énonciations historiques successives, favorisant les combats politiques majeurs pour porter au plus haut niveau l’émancipation et l’effectivité de la dignité humaine.
Mais ces droits de l’Homme ne peuvent constituer une utopie. Les réduire à une utopie reviendrait à, implicitement, accepter l’idée que leur respect est en soi, quelque part, une part de rêve ou une illusion. Les droits de l’Homme ne vivent que par le concret, n’existent que s’ils sont exigibles, portés et revendiqués. Ils sont et demeurent notre cahier d’exigences.
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