• Benoît Van der Meerschen
    Benoît Van der Meerschen
    président de la Ligue des Droits de l’Homme

Les droits de l’Homme, une utopie mobilisatrice ?

Les droits de l’Homme consti­tuent un ensemble de prin­cipes juri­diques et éthiques fonda­men­taux qui ont voca­tion à s’appliquer aux indi­vi­dus, aux commu­nau­tés et aux peuples et qui ont pour but de proté­ger les préro­ga­tives inhé­rentes à tout être humain et à tous les êtres humains pris collec­ti­ve­ment en raison de l’existence d’une « dignité » atta­chée à leur personne et justi­fiée par leur seule condi­tion humaine.

Mais, depuis leur procla­ma­tion, les droits de l’Homme ont été tiraillés entre leur aspi­ra­tion à l’universalisme et l’expérience de leur confron­ta­tion à la diver­sité cultu­relle. Ces tiraille­ments se sont accen­tués au fur et à mesure que les rapports de forces et les boule­ver­se­ments inter­na­tio­naux – illus­trés aujourd’hui par les proces­sus de mondia­li­sa­tion – ont suscité de puis­santes réac­tions identitaires.

Les droits de l’Homme ne vivent que par le concret, n’existent que s’ils sont exigibles, portés et reven­di­qués. CC-BY-NC-SA + h de c – Flickr

Ainsi, selon certains, les spéci­fi­ci­tés cultu­relles ne s’accommoderaient pas des droits humains.

Force est de consta­ter cepen­dant que, le plus souvent, ce discours est tenu par les diri­geants d’États peu scru­pu­leux en matière de respect des droits de l’Homme et, égale­ment, trop heureux de main­te­nir leurs popu­la­tions dans des situa­tions de non-droit dont ils restent les seuls béné­fi­ciaires. Comme le souligne Dan Van Raem­donck, vice-président de la Fédé­ra­tion inter­na­tio­nale des Ligues des droits de l’Homme, « il est incon­gru de penser que la torture puisse être une spéci­fi­cité cultu­relle chinoise, que le régime à parti unique appar­tienne à la culture afri­caine ou que les centres fermés pour étran­gers soient un pur produit européen. »

Alors certes, même si les droits de l’Homme sont essen­tiel­le­ment d’essence occi­den­tale (à titre d’exemple, les pays colo­ni­sés, à l’époque de la Décla­ra­tion univer­selle des droits de l’Homme en 1948, n’ont pas eu voix au chapitre), cela n’empêche pas ces droits de se révé­ler, de temps en temps, un outil efficace.

Univer­sel et singulier

En réalité, pour les défen­seurs des droits de l’Homme, l’universalité de ceux-ci n’implique nulle­ment la suppres­sion des diffé­rences, ni l’uniformisation des cultures. Parce que l’universel se nour­rit du singu­lier, il n’est pas d’authentique culture de l’universel qui ne soit, d’un même mouve­ment, culture de la diver­sité. La réfé­rence à l’universalité des droits humains implique donc la prise en compte du droit de préser­ver la culture dont on est nourri et les tradi­tions dont on est issu.

Parce que l’universel se nour­rit du singu­lier, il n’est pas d’authentique culture de l’universel qui ne soit, d’un même mouve­ment, culture de la diver­sité. La réfé­rence à l’universalité des droits humains implique donc la prise en compte du droit de préser­ver la culture dont on est nourri et les tradi­tions dont on est issu.

Ce qu’il faut préci­sé­ment éviter, c’est le sacri­fice de cultures parti­cu­lières : ne pas consi­dé­rer l’universalité comme un postu­lat intan­gible, accep­ter de la refon­der par la rencontre de l’autre et par la discus­sion, la conce­voir comme une oeuvre à faire, à laquelle tous doivent parti­ci­per. Ce qui nous oblige à nous regar­der dans le miroir et à dénon­cer les viola­tions des droits de l’Homme aussi au sein de l’Union euro­péenne : nul n’est à l’abri de ces viola­tions ; nous n’avons pas de leçon à donner en matière de respect des droits de l’Homme.

Plus que de l’utopie, un cahier d’exigences

Le véri­table univer­sa­lisme, c’est-à-dire non pas masque abstrait d’une domi­na­tion qui emprunte des formes renou­ve­lées mais atta­che­ment à l’égalité et à la dimen­sion univer­sa­li­sante du   singu­lier, est le contraire même de la globa­li­sa­tion impé­riale, en ce qu’il repose sur le respect de la plura­lité des chemins de civi­li­sa­tion… dès lors qu’est garanti le noyau commun de ce qui fait l’humanité.

La Décla­ra­tion univer­selle des droits de l’Homme énonce l’essentiel de ce noyau commun : sûreté, liberté et dignité égales pour tous les êtres humains. Car quels que soient les endroits, les époques et les socié­tés, il n’est pas d’être humain qui souhaite être tué, torturé, humi­lié ou réduit en escla­vage. Mais dès lors que « l’humanité de l’humanité » est ainsi mise hors de débat et de modu­la­tions, tout le reste relève de chaque peuple, de chaque société, de chaque civi­li­sa­tion maîtresse de son propre destin. Cela suppose évidem­ment le rejet de la concep­tion d’une préten­due hiérar­chie des civi­li­sa­tions et aussi la construc­tion d’un autre ordre mondial écono­mique, social et cultu­rel, c’est-à-dire de régu­la­tions qui protègent les hommes et les peuples contre la logique de la globa­li­sa­tion impé­riale, contre la marchan­di­sa­tion univer­selle et la stan­dar­di­sa­tion du monde. Cette lutte contre les inéga­li­tés doit être l’objet de notre mobilisation.

Mais cet autre chemin ne peut être emprunté à moitié…

La Décla­ra­tion univer­selle des droits de l’Homme énonce l’essentiel de ce noyau commun : sûreté, liberté et dignité égales pour tous les êtres humains. Car quels que soient les endroits, les époques et les socié­tés, il n’est pas d’être humain qui souhaite être tué, torturé, humi­lié ou réduit en esclavage.

Et pour nous guider, dans ce monde truffé d’incertitudes, les droits de l’Homme sont une bous­sole. Ils sont une merveilleuse construc­tion humaine, juri­dique certes, mais dyna­mique dans sa constante évolu­tion à travers les décla­ra­tions et énon­cia­tions histo­riques succes­sives, favo­ri­sant les combats poli­tiques majeurs pour porter au plus haut niveau l’émancipation et l’effectivité de la dignité humaine.

Mais ces droits de l’Homme ne peuvent consti­tuer une utopie. Les réduire à une utopie revien­drait à, impli­ci­te­ment, accep­ter l’idée que leur respect est en soi, quelque part, une part de rêve ou une illu­sion. Les droits de l’Homme ne vivent que par le concret, n’existent que s’ils sont exigibles, portés et reven­di­qués. Ils sont et demeurent notre cahier d’exigences.

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