• Catherine Fallon
    ingénieur civil chimiste de formation et docteur en Sciences politiques et sociales
Propos recueillis par Arnaud Leblanc

« Le plan Marshall est une belle illustration d’utopie mobilisatrice »

Cathe­rine Fallon est Ingé­nieur civil chimiste de forma­tion et docteur en Sciences poli­tiques et sociales. Elle est égale­ment direc­trice du SPIRAL, un labo­ra­toire de recherches qui se carac­té­rise par une approche inter­dis­ci­pli­naire. Elle s’est notam­ment penchée sur les liens qu’entretiennent la science, la tech­no­lo­gie et la société.

Salut & Frater­nité : Comment peut-on envi­sa­ger le progrès en tant qu’utopie mobilisatrice ?

Cathe­rine Fallon : D’une manière géné­rale, on peut dire que l’État moderne s’est construit sur la Science. Citons par exemple la décou­ver­ture de la navi­ga­tion du 17e siècle ou des chan­ge­ments en termes de santé publique aux 18e et 19e siècles… Cepen­dant, les pires horreurs du 20e siècle ont émergé dans une société qui était parmi les plus avan­cées sur les plans tech­nique et indus­triel. On a coutume de dire que l’utopie du progrès s’est éteinte dans les camps de concentration.

S&F : Avec votre regard de cher­cheuse en 2011, êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?

CF : Non, l’utopie ne s’est pas arrê­tée mais a changé de tona­lité. Le progrès fait désor­mais l’objet d’une approche réflexive et critique. Il y a des argu­ments d’autorité qu’on n’accepte plus. Aupa­ra­vant, les tech­ni­ciens déci­daient entre eux de ce qui était bon pour la société. Mais ce système de déci­sion est de plus en plus mis sous pres­sion. Certains cas ont montré que des cadrages alter­na­tifs auraient permis d’anticiper des problèmes et des effets inat­ten­dus. Au Dane­mark, dans les années 90, la ques­tion des OGM était ainsi gérée par le Danish Board of Tech­no­logy, qui a permis que, plus tard, la poli­tique scien­ti­fique se déve­loppe avec des proces­sus de discus­sion, d’ouverture.

Faire appel aux « people exper­tise » est très impor­tant, parce que l’homme de la rue a quelque chose à dire. Mais il doit aussi s’approprier l’innovation. Prenons le cas des éoliennes. Soit on l’impose en se disant que les gens doivent s’habituer, soit on les mobi­lise autour de cet objet nouveau.

S&F : Permettre le débat au sein de la société permet donc d’éviter les problèmes futurs ?

CF : Oui, mais pas seule­ment. Faire appel aux « people exper­tise » est très impor­tant, parce que l’homme de la rue a quelque chose à dire. Mais il doit aussi s’approprier l’innovation. Prenons le cas des éoliennes. Soit on l’impose en se disant que les gens doivent s’habituer, soit on les mobi­lise autour de cet objet nouveau. Il s’agit là d’écouter les habi­tants pour   avoir leur avis. Par exemple, on peut déve­lop­per un projet d’implantation d’éoliennes en recueillant les avis des rive­rains sur d’éventuels incon­vé­nients parce que ce genre de projet les concerne direc­te­ment. Autre exemple, dans le domaine de la méde­cine : aux États-Unis, une société améri­caine (Myriad Gene­tics) a mis au point une tech­nique qui évalue les chances de déve­lop­per un cancer du sein. Quiconque le souhaite peut faire appel à cette société et envoyer un échan­tillon de sang pour le faire tester. En Europe, il a été décidé d’utiliser cette décou­verte dans l’encadrement du système médi­cal en y inté­grant les profes­sion­nels de la santé. Ces deux régions du monde, États-Unis et Europe, vont donc cadrer cette avan­cée scien­ti­fique d’une manière diffé­rente. Nous avons donc une utopie mobi­li­sa­trice qui ne s’articule pas de la même manière dans deux espaces sociaux.

S&F : Pour en reve­nir aux rela­tions entre poli­tiques publiques et utopies   mobi­li­sa­trices, le côté parti­ci­pa­tif joue-t-il un rôle de plus en plus crucial ?

CF : C’est en cours de trans­for­ma­tion au niveau euro­péen, mais il y a encore énor­mé­ment de chemin à faire au niveau wallon à ce niveau-là. Pour ce qui est du finan­ce­ment, les fonds augmentent en Belgique, et en Wallo­nie parti­cu­liè­re­ment. Mais tous les cher­cheurs vous diront que c’est insuf­fi­sant ! D’autant plus que la compé­ti­tion se situe main­te­nant à l’échelon mondial. D’ailleurs, le plan Marshall est une belle illus­tra­tion d’utopie mobi­li­sa­trice, et ce dans les domaines de la santé – la Wallo­nie est parmi les meilleurs dans ce domaine -, de la méca­nique, de l’alimentation et de la logis­tique. Ce plan affirme que la base de la crois­sance écono­mique de la Région sera basée sur des produits de pointe.

 

S&F : Peut-on affir­mer que l’impulsion de départ de faire avan­cer la poli­tique scien­ti­fique vient des citoyens ?

CF : La poli­tique scien­ti­fique ne fait jamais vibrer les foules. Les gens veulent inves­tir de l’argent dans la poli­tique de santé, mais ils veulent aussi des routes, des écoles, des hôpi­taux… Cette volonté vient plutôt de deux niveaux : l’Europe, puisque inves­tir davan­tage dans la recherche était un élément de la stra­té­gie de Lisbonne, et la Région wallonne, qui base son redé­ploie­ment sur le déve­lop­pe­ment des sciences et des nouvelles technologies.

S&F : Comment le fruit de ces recherches va-t-il se concré­ti­ser dans la vie quotidienne ?

CF : via des avan­cées tech­niques et via les spin-offs. À titre d’exemple on peut citer le GIGA, un labo­ra­toire issu de l’Université de Liège qui effec­tue des recherches dans les domaines biomé­di­cal et vété­ri­naire et qui a déjà produit des vaccins pour les animaux. D’ailleurs, la Belgique est à la pointe dans le domaine de la recherche biomé­di­cale. Nous avons des univer­si­tés très compé­tentes dans ce domaine.

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