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Chantal Cession,
spécialiste en littérature de jeunesse
La littérature jeunesse : une ouverture à l’esprit critique
Chantal Cession a cofondé en 1977 la librairie la Parenthèse, lieu incontournable du livre de jeunesse à Liège. Elle a ainsi participé à l’émergence de librairies d’un jour nouveau pour l’époque : des enseignes consacrées exclusivement aux enfants et à leur littérature. Un peu plus de 30 ans après, elle rejoint Michel Defourny, spécialiste internationalement reconnu, au sein des Ateliers du Texte de l’Image.
Cette association sans but lucratif a pour vocation de mettre en valeur et d’animer le Fonds Michel Defourny, une collection de près de 40 000 pièces étroitement liée à la littérature de jeunesse afin de favoriser l’accès de celle-ci par toute personne intéressée. Avec l’appui de l’Échevinat de la Culture de la Ville de Liège, l’association occupe, depuis le mois de septembre 2010, le Centre de Littérature Jeunesse de la Ville de Liège hébergé par la bibliothèque Ulysse Capitaine. Cet espace met une partie des œuvres à disposition du public adulte (enseignants, étudiants, chercheurs ou illustrateurs…). Elle partage aujourd’hui sa réflexion sur cette discipline littéraire singulière.
Salut et Fraternité : La littérature jeunesse est-elle une discipline propre ou une introduction vers la littérature « adulte » ?
Chantal Cession : Pour moi, la littérature de jeunesse fait simplement partie de « la » littérature. Mais nous avons dû militer, dès les années 1970, pour qu’elle soit reconnue comme elle l’est aujourd’hui. L’époque était propice à son développement : nous étions dans l’après mai 68 et les idées de Françoise Dolto sur la place de l’enfant faisaient leur chemin. Le jeune n’était pas fait pour être rempli de choses à assimiler mais, au contraire, il devait être aidé à devenir lui-même, à trouver sa personnalité, à s’épanouir. Avant 1970, la littérature de jeunesse était souvent instructive et moralisatrice. Maintenant, on trouve des créations à part entière d’auteurs, d’illustrateurs qui créent des œuvres de fiction de qualité tout à fait comparables au meilleur de la littérature générale.
Un petit enfant familiarisé avec cette langue écrite acquiert une richesse importante. Mieux posséder la langue, c’est mieux posséder les outils pour s’exprimer soi-même. Et mettre des mots sur ce que l’on vit et ce que l’on ressent est vraiment un enjeu capital dans la vie, pour communiquer et mettre de la distance par rapport à ses expériences.
S&F : Quels sont les enjeux qui entourent la littérature de jeunesse ?
Ch. C. : Je pense que l’accès à la lecture est vraiment fondamental pour les enfants et pour leur construction. Tout petits, ils bénéficient de l’apport de l’image sur le plan du regard, mais sur- tout de la richesse de la langue. Un petit enfant familiarisé avec cette langue écrite acquiert une richesse importante. Mieux posséder la langue, c’est mieux posséder les outils pour s’exprimer soi-même. Et mettre des mots sur ce que l’on vit et ce que l’on ressent est vraiment un enjeu capital dans la vie, pour communiquer et mettre de la distance par rapport à ses expériences.
L’accès à la langue écrite est vraiment, pour moi, quelque chose de capital en regard de la langue parlée qui est généralement utilitaire, et donc beaucoup plus limitée. Pour un enfant, s’entendre lire un conte dans lequel il y a de l’imparfait, du passé simple ou du subjonctif, lui apprend à ressentir des subtilités et des nuances de la langue de la meilleure façon qui soit. Par rapport à un enfant qui doit apprendre cela à travers des cours de grammaire, de conjugaison etc., il n’y a pas de comparaison.
Un autre aspect aussi, c’est la rencontre avec l’Autre. Lire, c’est rencontrer quelqu’un qui nous fait passer quelque chose de lui- même, qui nous confronte à un récit face auquel, nous lecteurs, allons-nous situer. Ces rencontres peuvent donc permettre à l’enfant, qui est en construction, de prendre conscience de lui-même, de sa façon de réagir et de ses goûts.
Lire, c’est rencontrer quelqu’un qui nous fait passer quelque chose de lui- même, qui nous confronte à un récit face auquel, nous lecteurs, allons-nous situer. Ces rencontres peuvent donc permettre à l’enfant, qui est en construction, de prendre conscience de lui-même, de sa façon de réagir et de ses goûts.
Une quatrième chose qui me semble fort importante, c’est l’ouverture vers l’imaginaire qui est capitale si on veut que les enfants deviennent des personnes responsables et libres. L’imaginaire va leur permettre de ne pas reproduire simplement ce qui leur est dit. Il y a donc un lien entre progressisme et créateur d’imaginaire. C’est un régal de découvrir des auteurs provocateurs comme Pef, dont on fête les 30 ans du « Prince de Motordu », ou Rascal, qui va soulever des contradictions et laisser des fins ouvertes. Tout cela amène l’enfant à cheminer, à grandir, à gagner en liberté, en esprit cri- tique et en autonomie.
S&F : La littérature jeunesse ne peut-elle pas avoir une fonction de formatage des enfants selon une vision donnée ?
Ch. C. : Certainement ! Je vous parle de livres que je trouve positifs, constructifs. Mais il existe à côté de cela, toute une production pleine de clichés. Devant cette masse de productions, le rôle des spécialistes reste très important pour extraire ce qui paraît valable.
Les Ateliers du Texte et de l’Image – 04 250 94 35 - www.lesati.be
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