• Alain Lapiower
    Lezarts urbains

Slam : le grand retour de la prise de parole

Lezarts Urbains est une asso­cia­tion centrée sur les cultures urbaines. Elle tente de valo­ri­ser des formes artis­tiques vivantes et origi­nales telles que la danse urbaine, le rap, le slam, l’art graf­fiti ainsi que toutes les disci­plines apparentées.

Le « slam » a la cote ces dernières années. Signe de son succès et celui de ses soirées, l’association est de plus en plus souvent appe­lée pour assu­rer des anima­tions dans les écoles, en maisons de jeunes, en alpha­bé­ti­sa­tion, en prison, en centre cultu­rel, en biblio­thèques… C’est ainsi qu’il rencon­tra même une rela­tive atten­tion de la part des milieux « litté­raires », même  si cette dernière est plutôt condescendante.

(…) dans les écoles du bas de la ville de Bruxelles par exemple, c’est bien le rap et non le slam qui a provo­qué cette envie d’écriture de la part des gamins, qui s’identifient bien plus volon­tiers à Booba ou Medine  qu’à un Grand Corps Malade un peu trop gentillet. Mais peu importe, car l’essentiel est qu’un vent d’écriture souffle aujourd’hui, et que cette moti­va­tion permet bien des ouvertures.

Dans le contexte diffi­cile contem­po­rain qui entoure la lecture et l’écriture pour les publics jeunes et  encore plus pour les jeunes de milieu popu­laire, l’idée d’amorcer une récon­ci­lia­tion via le slam fit son chemin au sein de Lezarts Urbains. Sans vouloir bâtir des construc­tions exces­sives sur de simples intui­tions et sur une mode, il nous est en tout cas apparu qu’on pouvait pour le moins tenter quelques expé­riences à partir de cet élan d’intérêt.

L’ouverture du cadre scolaire par exemple, notam­ment dans les quar­tiers « diffi­ciles », est une oppor­tu­nité à saisir même si elle ne corres­pond pas néces­sai­re­ment à ce que de nombreux ensei­gnants veulent croire. Car dans les écoles du bas de la ville de Bruxelles par exemple, c’est bien le rap et non le slam qui a provo­qué cette envie d’écriture de la part des gamins, qui s’identifient bien plus volon­tiers à Booba ou Medine  (NDLR : rappeurs fran­çais) qu’à un Grand Corps Malade (NDLR : slameur fran­çais) un peu trop gentillet. Mais peu importe, car l’essentiel est qu’un vent d’écriture souffle aujourd’hui, et que cette moti­va­tion permet bien des ouvertures.

L’apport prin­ci­pal d’un atelier slam est avant tout lié à l’oralité

Cet objec­tif central d’une prise de parole, permet d’emblée de poser la ques­tion créa­tive en termes « d’adresse », au sens commu­ni­ca­teur du terme. Un proces­sus qui sera donc aussi corpo­rel, à travers la voix, le geste et le corps entier lors de la décla­ma­tion. L’effet cathar­tique, provient non seule­ment du « face au public », mais aussi et peut-être plus encore, de cette portée intense et libé­ra­trice qui doit accom­pa­gner un texte à « slamer ». Ce côté commu­ni­ca­teur et intense nous paraît essen­tiel et diffé­ren­cie préci­sé­ment ce proces­sus de la démarche rédac­tion­nelle ou décla­ma­toire clas­sique. C’est la notion d’engagement, au sens psycho-person­nel d’abord (l’implication est forte, dans l’ici et main­te­nant) mais aussi dans le social.

Le slam : moteur d'expression et d'oralité. CC-BY-NC-SA Flickr – Raúl !

Le slam est un « mouve­ment », il crée du lien et du sens, plaçant le parti­ci­pant au centre d’un cercle mais pas unique­ment en tant qu’acteur qui foca­lise les regards, aussi en tant qu’acteur social, et c’est ce mobile qui nous inté­resse. C’est aussi ce qui va moti­ver des jeunes qui vont se lancer dans un atelier : la sensa­tion de parti­ci­per non pas à l’apprentissage d’une simple tech­nique d’expression, mais bien à la circu­la­tion de la parole dans un courant.

Nous travaillons le plus souvent à partir de conte­nus, amenés par les parti­ci­pants et puisés dans leur envi­ron­ne­ment social, à travers des ques­tions qui brûlent les lèvres autour de l’atelier. Il n’est pas rare que des larmes surviennent lors des présen­ta­tions publiques, tant ces sujets sont « chauds » aujourd’hui1.  De quoi nous rappe­ler que l’émotion est le mobile central de l’écriture, mais combien l’ont oublié ? Cette matière vive permet de nombreuses discus­sions de fond à carac­tère édifiant, mais aussi une rencontre authen­tique entre des personnes qui habi­tuel­le­ment ne se « parlent » quasi jamais.

L’apport struc­tu­rant et psycho­thé­ra­peu­tique de cette écri­ture à haute voix n’est plus à montrer. Mais l’oralité repré­sente aussi un enjeu éman­ci­pa­teur et socia­li­sant de première caté­go­rie pour les milieux popu­laires et pour toutes les personnes en diffi­culté avec la « Culture » insti­tuée ou les codes domi­nants. Parce que c’est la voie royale de la commu­ni­ca­tion et de la trans­mis­sion dans ces milieux. C’est aussi le cas dans la majo­rité des cultures tradi­tion­nelles encore très vivantes dans les pays et conti­nents d’où proviennent la plupart des personnes issues de l’immigration.  L’aisance incroyable dans ce domaine, dont bien souvent les jeunes d’origine immi­grée font preuve (la « tchatche »…) a donc un inté­rêt consi­dé­rable en termes de valo­ri­sa­tion et d’exutoire mais aussi de stimu­lant pour entrer dans l’univers de l’écriture.

L’atelier de slam apporte par ailleurs quan­tité d’ingrédients bien néces­saires. Il s’agit d’une véri­table aven­ture en groupe hors des normes. Elle permet­tra aux uns et aux autres, profes­seurs ou anima­teurs compris, de sortir de rôles figés, de lever le voile sur la complexité des personnes et des parcours person­nels, bref d’aller vers la vie, vers la pensée non super­fi­cielle et vers le monde. N’est-ce pas une des urgences aujourd’hui ?

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