• Catherine Lemaire
    Les Grignoux

L’uniformisation de la culture  par un acteur culturel

En matière d’uniformisation, nous parle­rons – forcé­ment – de ce que nous connais­sons, le cinéma, et à partir de la posi­tion que nous tenons dans cette indus­trie, derrière l’écran. Bien sûr, nous pour­rions commen­cer par parler du contenu, des films en eux-mêmes. Nous pour­rions abor­der la ques­tion du mains­tream (NDLR : grand public), la ques­tion de la fabrique d’un block­bus­ter (NDLR : produc­tion à gros budget), les recettes qui formatent les films pour ressem­bler à un produit de consom­ma­tion. L’intérêt à s’interroger sur cette « diver­sité stan­dar­di­sée », comme l’appelle Frédé­ric Martel1, est évident.

Mais pour nous qui nous retrou­vons toujours d’abord avec un film déjà fait, la ques­tion qui nous taraude au quoti­dien est celle de la diffu­sion. Notre raison d’être est de propo­ser une grande diver­sité de films au public.

Comment un film parvient-il à un public ? Un auteur a trouvé un produc­teur, une immense machi­ne­rie s’est mise en place qui a présidé à la fabri­ca­tion du film. Il est main­te­nant là, produit fini. Reste l’essentiel : qu’il soit vu. Que vaut une œuvre qui ne serait vue par personne ? Rien. Seul un regard lui confè­rera son statut d’oeuvre sur laquelle il sera alors possible de parler et de réflé­chir. De la même manière qu’il existe une stan­dar­di­sa­tion des films au niveau de leur contenu, des phéno­mènes ont à l’oeuvre qui rendent diffi­cile la visi­bi­lité de toute une série de films.

En matière d’exploitation ciné­ma­to­gra­phique, un modèle prédo­mine : celui des multi­plexes (NDLR : complexe ciné­ma­to­gra­phique d’au moins 8 salles). En Belgique, pays précur­seur en la matière, ceux-ci repré­sentent 60 % des salles. Mais comme le résume Claude-Eric Poiroux, ce n’est pas tant le nombre de ces multi­plexes qui pose problème, mais leur forte implan­ta­tion par rapport aux ciné­mas de taille moyenne, comp­tant de trois à cinq salles. C’est là qu’il y a un réel déséqui­libre car les complexes de taille moyenne sont ceux qui ont pu le mieux garan­tir la diver­sité de l’offre ». Les multi­plexes privi­lé­gient, selon leur nature commer­ciale, les block­bus­ters améri­cains et l’une ou l’autre comé­die fran­çaise. Les autres caté­go­ries de films ne font que des incur­sions aussi brèves que margi­nales dans les Kine­po­lis du pays.

De l’autre côté du spectre, les salles « art et essai », plus fragi­li­sées que jamais (et cela aussi bien en Wallo­nie qu’en Flandre), survivent et vont parfois jusqu’à payer des mini­mums garan­tis exor­bi­tants pour pouvoir exploi­ter des films plus porteurs. D’une moyenne de un à trois écrans, leur choix est forcé­ment limité par leur petite taille.

Les ciné­mas de taille moyenne sont rares. Parce qu’ils ont un nombre d’écrans suffi­sants, ils peuvent main­te­nir un équi­libre entre une voca­tion de diffu­seur de films art et essai et des consi­dé­ra­tions écono­miques qui leur font aussi choi­sir du cinéma grand public. Aspect essen­tiel, ils permettent l’absorption d’un grand nombre de films propo­sés sur le marché. Car un phéno­mène appa­rem­ment para­doxal doit être pris en compte : le nombre de films propo­sés ne dimi­nue pas, au contraire, il augmente. On assiste à une explo­sion de l’offre. En moyenne, en Belgique, 8 à 10 nouveaux films sortent par semaine. Et il n’y a pas assez de salles pour absor­ber cette diver­sité de l’offre, juste­ment. Et certains films, s’ils béné­fi­cient bien d’une sortie en salle, passent complè­te­ment inaper­çus vu l’inflation. Le public doit faire des choix. De cette masse, seuls un ou deux films surnagent, aidés par des campagnes marke­ting massives, parfois par une presse enthou­siaste. Le film a à peine le temps

de s’installer qu’il est remplacé par un autre, l’attrait de l’extrême nouveauté primant sur n’importe quelle autre qualité. Les distri­bu­teurs indé­pen­dants, qui n’ont pas la force de frappe des majors améri­caines, tout simple­ment parce qu’ils n’ont pas les mêmes moyens, auront les pires diffi­cul­tés à exis­ter face à la défer­lante des grosses produc­tions de Holly­wood. Mais, en plus, ces socié­tés belges en arrivent à se faire une concur­rence impi­toyable (il n’est pas rare d’assister à la sortie de quatre films d’auteur la même semaine) et leurs films rencon­tre­ront diffi­ci­le­ment leur public.

Pour finir, on citera simple­ment un exemple, parmi beau­coup d’autres : Nowhere boy, un biopic (NDLR : film biogra­phique) éton­nant sur l’adolescence de John Lennon. Le film n’a pour ainsi dire pas existé alors qu’il aurait pu rassem­bler un large public autour d’une person­na­lité décoif­fante de l’histoire du rock et de la nais­sance d’un groupe mythique.

  1. Frédé­ric MARTEL, Mains­tream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Flam­ma­rion, 2010.
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