• Jean Pierre Hupkens
    échevin de la Culture

L’uniformisation de la culture par un acteur politique

Que la mondia­li­sa­tion tende à déstruc­tu­rer des socié­tés tradi­tion­nelles ou simple­ment instal­lées en y impor­tant de nouveaux rites, de nouveaux besoins qui balisent une nouvelle pers­pec­tive, celle d’un marché global tout entier voué au culte du profit, paraît rele­ver d’un constat. Pire, la mondia­li­sa­tion dicte­rait nos pratiques de consom­ma­tion sur un mode hégé­mo­nique en vous pous­sant dans les bras de l’oncle Sam !

Gardons-nous cepen­dant de nous réfu­gier dans pareille affir­ma­tion en faisant l’économie de la réflexion car c’est prendre le chemin de la rési­gna­tion et tour­ner le dos à une véri­table poli­tique qui, rappe­lons-le, consiste au départ d’une analyse à mettre en oeuvre les moyens d’un chan­ge­ment. En d’autres mots, l’art de passer du monde tel qu’il est au monde tel qu’on le veut.

Sans nier le carac­tère nive­lant de la logique de marché, sans nier l’inféodation crois­sante de la culture aux sphères marchandes, nous pouvons aussi prendre la mesure des résis­tances diverses face à cette vague qui semble inexo­rable. Nous consta­te­rons alors que ce mouve­ment vers un modèle uniforme s’accompagne de fortes reven­di­ca­tions défen­dant l’autonomie des citoyens et la diver­sité de leurs expres­sions culturelles.

Liège, qui s’honore des 140 natio­na­li­tés qui la composent, figure à cet égard un bel exemple d’un terri­toire où la produc­tion de sens pour le vivre ensemble peut surgir. Corri­ger les effets d’une mondia­li­sa­tion, qui produit autant de pauvreté que de richesse, ou mieux produire un contre-modèle à cette mondia­li­sa­tion, consti­tue clai­re­ment un acte politique.

Ce n’est pas tout de célé­brer le champ des possibles offert par inter­net, encore faut-il créer les  condi­tions d’accès à ces nombreuses commu­nau­tés virtuelles d’affinités autour de centres d’intérêt multiples et variés. A chacun sa part du web. A cet égard, la Ville de Liège met actuel­le­ment en oeuvre un programme d’initiation et de sensi­bi­li­sa­tion à la culture numé­rique dans ses biblio­thèques de quar­tier en visant les seniors, les exclus du monde du travail et les enfants ou adoles­cents en « rupture de banc ».

A un moment où la culture est de plus en plus souvent présen­tée comme un enjeu de déve­lop­pe­ment écono­mique pour les villes du monde, où celles-ci inves­tissent dans des programmes de City bran­ding (NDLR : tech­niques du marke­ting appli­quées à la promo­tion des villes) pour faire rayon­ner leurs plus beaux atours, sans doute faut-il rappe­ler que si ces entre­prises de séduc­tion sont néces­saires, elles ne doivent pas conduire à une inver­sion des logiques.

Le geste cultu­rel ne se pose pas en fonc­tion de ses résul­tats écono­miques, il est l’occasion de ceux-ci. La valeur ajou­tée d’une produc­tion cultu­relle ne se mesure pas en terme de bilan finan­cier seule­ment, elle s’évalue à l’aune de sa contri­bu­tion à l’émancipation des citoyens et à la cohé­sion sociale.

C’est en créant les condi­tions d’un dialogue entre ses diffé­rentes compo­santes cultu­relles, en recon­nais­sant celles-ci pour leur apport à l’ensemble, que la Ville peut contri­buer à défi­nir un point d’équilibre entre la logique d’uniformisation et celle de la diver­si­fi­ca­tion que char­rie toutes deux le flot de la « mondia­li­sa­tion ». Encore faut-il éviter les nombreux pièges, qu’il s’agisse du commu­nau­ta­risme ou du cultu­ra­lisme, pour ne citer que ceux-là.

C’est pour­quoi nous en appe­lons à une approche de cette problé­ma­tique dépour­vue de mani­chéisme, à une stra­té­gie perti­nente à laquelle concourent toutes les forces vives de la Cité à l’invitation de la ville et en parfaite intel­li­gence avec d’autres niveaux de pouvoirs. La culture doit être outil de résis­tance et une clé de compré­hen­sion du monde. Au-delà de ces fron­tières, elle s’abîme dans la vacuité d’un simple divertissement.

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