• Mathieu Bietlot
    délégué à Bruxelles Laïque

Le Festival des Libertés : dix ans déjà, et bien plus…

À Bruxelles, le Festi­val des Liber­tés est un événe­ment cultu­rel et poli­tique bien connu du grand public depuis cinq ou six ans. La paire de sandales fleu­ries au milieu d’une rangée de bottines mili­taires qui illustre son affiche ne passe désor­mais plus inaper­çue. Son origine remonte pour­tant à un quart de siècle déjà. Il débuta, en effet, en 1985 en tant que Festi­val du Cinéma des Liber­tés et s’adressait, à l’époque, au public scolaire. Orga­nisé par Bruxelles Laïque, il se dérou­lait en jour­née et s’étalait sur plusieurs semaines ; sa program­ma­tion était unique­ment ciné­ma­to­gra­phique et sa voca­tion prin­ci­pa­le­ment pédagogique.

C’est en 2001 qu’il commença à étendre sa portée. Sous l’intitulé  « Femmes à l’écran », le festi­val proposa, au Vendôme et en colla­bo­ra­tion avec l’Unie Vrij­zin­nige Vere­ni­gin­gen, une  édition en soirée desti­née à tous les publics. Il prit un peu plus d’ampleur en 2002 en déve­lop­pant, à l’Actor’s Studio, le thème « Planet Blues ». Il commença à s’affirmer comme vecteur de réflexion citoyenne et de promo­tion d’un cinéma en prise sur les réali­tés de notre temps.

En 2003, au Bota­nique, le Festi­val s’assuma entiè­re­ment comme Festi­val des Liber­tés, lais­sant tomber le cinéma de son titre, non pour l’oublier dans sa program­ma­tion – au contraire – mais pour lais­ser la place à d’autres expres­sions : théâtre, musique,  expo­si­tion, débat, avec comme inten­tion de « Conju­guer les liber­tés » à travers diffé­rentes théma­tiques. Parmi les moments marquants de cette édition, citons les avant-premières de Resist, docu­men­taire consa­cré au Living Theatre, en présence des fonda­teurs de la troupe de théâtre anar­chiste, et de In This World de Micheal Witter­bot­tom, ou encore le concert de clôture du Festi­val à la Salle de la Made­leine avec Linton Kwesi Johnson.

Pour surmon­ter la frag­men­ta­tion sociale et le fata­lisme qu’elle entraîne, l’accent fut mis sur la néces­sité de créer des liens entre les indi­vi­dus ou les initia­tives et d’être créa­tif dans les formes de résis­tance et de propo­si­tions positives.

L’installation au Pathé Palace, en 2004, et l’articulation théma­tique autour de la notion de « Résis­tances démo­cra­tiques » donna un nouvel élan et une enver­gure élar­gie à l’événement. Avec une program­ma­tion poin­tue sur diffé­rentes ques­tions : extrême droite, islam, drogues, prisons, crimi­na­li­sa­tion de la contes­ta­tion, … cette édition du Festi­val des Liber­tés a renforcé son rôle d’espace de vigi­lance et de reven­di­ca­tions démo­cra­tiques. Elle a aussi installé dura­ble­ment la recette du festi­val métis­sant les moments festifs, les temps de réflexion et de débats, le cinéma et les perfor­mances artis­tiques. L’édition 2005 était, quant à elle, centrée sur les impli­ca­tions et respon­sa­bi­li­tés liées au couple « Liberté d’expression – Liberté de presse ». Ces prin­cipes indis­pen­sables au déve­lop­pe­ment de la citoyen­neté active ont été abor­dés à partir de témoi­gnages inter­na­tio­naux, entre autres du direc­teur de l’hebdomadaire maro­cain Tel Quel et d’Alain Gresh du Monde Diplo­ma­tique. Cette année fut égale­ment l’occasion pour le Festi­val des Liber­tés de s’étendre vers un public plus large en s’associant à des artistes comme Arno, Orishas ou Rachida Khalil.

2006 fut l’année de la créa­tion d’un axe majeur du festi­val actuel : une première compé­ti­tion inter­na­tio­nale de docu­men­taires qui consa­crera le film Gitmo d’E.Gandini & T.Saleh comme premier lauréat du Festi­val des Liber­tés pour la qualité de son enquête sur le camp de Guan­ta­namo. « Résis­ter à la panique sociale » a servi de fil rouge pour inter­ro­ger la tendance sécu­ri­taire de nos socié­tés où la peur remplace la réflexion et où la sécu­ri­sa­tion est présen­tée comme le plus fiable des remèdes. Des artistes comme Linton Kwesi John­son, Souad Massi ou Bouba­ba­car Traoré ont agré­menté cette démarche de leurs sensi­bi­lité, force et témoignage.

« Résis­ter, c’est créer » (repris d’un livre de Miguel Bena­sayag présent au festi­val) marqua l’esprit construc­tif du Festi­val des Liber­tés 2007. Pour surmon­ter la frag­men­ta­tion sociale et le fata­lisme qu’elle entraîne, l’accent fut mis sur la néces­sité de créer des liens entre les indi­vi­dus ou les initia­tives et d’être créa­tif dans les formes de résis­tance et de propo­si­tions posi­tives. Cette invi­ta­tion s’est traduite par une tren­taine de films dont un hommage à René Vautier, des concerts avec entre autres Abd Al Malik, Ojos de Brujo et Ozark Henry, des arts de la scène dont un opéra de quar­tier bruxel­lois et de très nombreux débats consa­crés à la résis­tance artis­tique, aux dyna­miques de quar­tier, à la construc­tion de la paix au Moyen-Orient, aux alter­na­tives à la psychiatrie …

Le Festi­val des Liber­tés est un événe­ment incon­tour­nable à Bruxelles depuis de nombreuses années, et depuis peu à Liège.

Le Pathé Palace deve­nant trop étroit pour le succès que rencon­trait désor­mais le festi­val, celui-ci a investi le centre cultu­rel Flagey, trans­formé pour l’occasion en théâtre de reven­di­ca­tion et illus­tré par de magni­fiques clichés de l’agence Magnum Photo. Les arts de la scène (Embed­ded de Tim Robins, Résis­ter, c’est exis­ter avec Fran­çois Bour­cier, Nos limites de la compa­gnie N’Possee…) gagnèrent égale­ment une place plus impor­tante au sein de la program­ma­tion, consa­crée en 2008 à l’observation du recours trop fréquent et trop facile à l’interdiction, l’injonction ou l’argument auto­ri­taire pour régler des diffi­cul­tés sociales, poli­tiques ou cultu­relles. Une scène musi­cale éclec­tique compo­sée d’artistes tels que Marcel Khalifé, Richie Havens, Femi Kuti ou Brigitte Fontaine a contri­bué au succès de cette démarche poli­tique et festive.

D’édition en édition, la perti­nence, la noto­riété, la richesse et la diver­sité de contenu du  Festi­val des Liber­tés se confirment. Le public le rejoint, chaque année, plus nombreux (…) Ce public se révèle non seule­ment enthou­siaste mais très diver­si­fié tant au niveau du genre et de l’âge que de l’origine sociale ou culturelle.

Depuis 2009, le Festi­val des Liber­tés a noué un parte­na­riat fruc­tueux avec le Théâtre Natio­nal qui accueille toutes ses acti­vi­tés, dix jours durant, et contri­bue à sa program­ma­tion théâ­trale avant-gardiste en prise sur notre temps (avec des spec­tacles comme La Ballata delle Balate, Bloody Niggers ! ou Un fils de notre temps). Vingt ans après la chute du Rideau de Fer, cette dernière édition du festi­val a inter­rogé les murs qui ont persisté ou se sont édifiés après 1989. Des murs aussi bien maté­riels qu’économiques, cultu­rels ou mentaux. Une quaran­taine de docu­men­taires inter­na­tio­naux ont permis d’en dres­ser un révol­tant inven­taire. Les débats ont autant pointé les multiples enfer­me­ments de notre société que les brèches qu’il est possible d’y créer. La voca­tion du festi­val à promou­voir l’esprit critique et l’expression libre a pris une nouvelle dimen­sion, en 2009, avec la mise en place d’un concours d’éloquence citoyenne pour les liber­tés. Du côté musi­cal, on retien­dra, pour cette édition, les pres­ta­tions émou­vantes ou épous­tou­flantes de Oumou Sangare, Grand Corps Malade, Asian Dub Fonda­tion et Groundation.

C’est aussi depuis 2009 que le Festi­val des Liber­tés a déve­loppé son exten­sion liégeoise…

D’édition en édition, la perti­nence, la noto­riété, la richesse et la diver­sité de contenu du  Festi­val des Liber­tés se confirment. Le public le rejoint, chaque année, plus nombreux : quelques centaines de personnes au début, près 3 000 personnes en 2004, plus de 10 000 en 2007 et actuel­le­ment plus de 15 000. Ce public se révèle non seule­ment enthou­siaste mais très diver­si­fié tant au niveau du genre et de l’âge que de l’origine sociale ou cultu­relle. En ce sens, le Festi­val des Liber­tés rencontre de plus en plus ses objec­tifs de sensi­bi­li­sa­tion du grand public aux enjeux démo­cra­tiques, de promo­tion de la parti­ci­pa­tion citoyenne et de l’engagement indi­vi­duel ou collec­tif, de recon­nais­sance de la diver­sité et de construc­tion d’une société plus juste.

 

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