• Pierre Blaise
    Pierre Blaise
    secrétaire général du Centre de recherche et d'information socio-politiques (CRISP)

De la loi sur les asbl au Code des Sociétés et des associations

La Belgique est terre d’associations, c’est peu de le dire. Tant de citoyens sont membres d’au moins une asso­cia­tion, y exercent des respon­sa­bi­li­tés, y travaillent ou béné­fi­cient de leurs services. La vie asso­cia­tive touche à telle­ment de domaines diffé­rents. Le phéno­mène n’est pas neuf. Mais on pour­rait igno­rer qu’il a long­temps été entravé, et même réprimé. 

Pendant la période fran­çaise, les corpo­ra­tions, les coali­tions ouvrières et patro­nales, les congré­ga­tions reli­gieuses et les asso­cia­tions de nature poli­tique sont tour à tour inter­dites. À l’inverse, les rédac­teurs de la Consti­tu­tion de 1831 affirment le prin­cipe de la liberté d’association, à côté des liber­tés des cultes, d’enseignement et de la presse, entre autres. Il ne suffit toute­fois pas d’affirmer un prin­cipe. Encore faut-il qu’il puisse se concrétiser.

Pendant de nombreuses années, la légis­la­tion héri­tée de la période fran­çaise reste d’application. Jusqu’en 1866, le délit de coali­tion empêche la créa­tion d’associations (sauf certaines excep­tions) et les oblige à agir dans la clan­des­ti­nité. Des moyens d’action comme la grève, par exemple, sont inter­dits. Dans le viseur, prin­ci­pa­le­ment, les orga­ni­sa­tions regrou­pant des travailleurs. Il faut attendre une loi du 24 mai 1921 pour que soit réel­le­ment garan­tie la liberté d’association.

Dès que deux personnes se réunissent, même de manière infor­melle, avec une certaine perma­nence, dans un but commun qui n’est pas de parta­ger des béné­fices ou de recher­cher un profit, on peut consi­dé­rer qu’il y a forma­tion d’une asso­cia­tion. Sans autre moda­lité, il s’agit d’une asso­cia­tion de fait.

Alors que pendant la période fran­çaise, les asso­cia­tions sont inter­dites par la loi, elles se multi­plie­ront rapi­de­ment à partir de 1921 avec la loi sur les asso­cia­tions sans but lucra­tif.- © Orbon Alija – IStock

Il est toute­fois apparu néces­saire de permettre à des asso­cia­tions de se doter de la person­na­lité juri­dique (syno­nyme de person­na­lité morale) en adop­tant une forme d’existence recon­nue par la loi. Dans ce sens, est égale­ment adop­tée la loi du 27 juin 1921 accor­dant la person­na­lité civile aux asso­cia­tions sans but lucra­tif et aux établis­se­ments d’utilité publique. En France, une loi semblable existe alors déjà depuis vingt ans.

Pour­quoi cher­cher à se doter de la person­na­lité juri­dique ou morale ? La personne morale (l’association, donc) consti­tue une personne distincte de la personne de ses membres et est proprié­taire de ses biens. La loi défi­nit la forme juri­dique (parmi celles exis­tantes, l’association sans but lucra­tif est, de loin, la plus répan­due) et donne des règles de fonc­tion­ne­ment. Elle garan­tit la protec­tion juri­dique de ses membres, leur respon­sa­bi­lité person­nelle n’étant pas enga­gée, pas plus que leurs biens propres (alors que c’est le cas dans l’association de fait).

La loi sur les asbl connaît rapi­de­ment un très grand succès, reflet du déve­lop­pe­ment du tissu asso­cia­tif dans le pays et consé­quence de la faci­lité qu’elle offre d’acquérir la person­na­lité juri­dique : la seule publi­ca­tion au Moni­teur belge de statuts conformes à la loi suffit à faire entrer une asso­cia­tion dans son champ de compé­tence et à la faire profi­ter de ses avan­tages. La loi consti­tue un cadre très souple : elle permet de limi­ter la respon­sa­bi­lité des asso­ciés tout en accor­dant une grande liberté aux fonda­teurs et les asso­cia­tions ne sont presque pas soumises à des contrôles. Des pratiques qui ne sont pas conformes à l’esprit de la loi se sont déve­lop­pées, de fausses asbl ont été créées pour exer­cer des acti­vi­tés lucra­tives ou échap­per à l’impôt.

« La loi consti­tue un cadre très souple : elle permet de limi­ter la respon­sa­bi­lité des asso­ciés tout en accor­dant une grande liberté aux fondateurs (…) »

Afin de mettre de l’ordre dans le champ des asbl, une trans­for­ma­tion impor­tante de la loi de juin 1921 est opérée par une loi du 2 mai 2002. Elle pour­suit un triple objec­tif : empê­cher le main­tien arti­fi­ciel d’asbl qui n’ont plus d’activités réelles, appor­ter plus de trans­pa­rence dans la gestion comp­table et veiller au carac­tère réel­le­ment dénué de but lucra­tif. Déjà à l’époque, d’aucuns s’interrogent sur les retom­bées de la nouvelle loi : d’une part, la proxi­mité jugée malsaine entre les asso­cia­tions et les socié­tés commer­ciales, les asso­cia­tions se voyant impo­ser des pratiques propres aux socié­tés commer­ciales (notam­ment leur plan comp­table) et ayant affaire aux tribu­naux du commerce (deve­nus tribu­naux de l’entreprise) ; d’autre part, en termes de liberté d’association consé­cu­tive aux nouvelles dispo­si­tions et à des normes plus rigoureuses.

Aujourd’hui, on recense plus de 130 000 asbl, parmi lesquelles un certain nombre ne sont plus actives. C’est dans ce contexte que la loi de 1921 revue en 2002 a été abro­gée, deux ans avant de célé­brer son cente­naire, et que le Code des socié­tés et des asso­cia­tions (CSA) a été adopté, qui tend à faire des asbl des entre­prises à part entière.

Les asso­cia­tions, des entre­prises comme les autres ?

Aujourd'hui, les asso­cia­tions et les entre­prises sont régies par un même Code des socié­tés et des asso­cia­tions. Cette nouvelle loi leur donne ainsi la possi­bi­lité, moyen­nant certaines condi­tions, d’avoir une acti­vité commer­ciale à titre principal.

Comment ne pas s’interroger quant à l’intrusion de cette logique marchande ? Quelles seront les consé­quences symbo­liques, mais aussi concrètes, de ce chan­ge­ment en termes de renta­bi­lité, de perfor­mance, notam­ment ? Comment conser­ver la spéci­fi­cité du secteur asso­cia­tif dans un tel contexte ? Il s’agira, pour celui-ci, d’approfondir ces réflexions et d’y rester plus qu’attentif.

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