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Lou Safra,
professeure assistante en psychologie politique au CEVIPOF-Sciences Po (Paris).
Politique et neurosciences
Depuis quelques années, le terme de neuropolitique s’est peu à peu imposé dans les médias. Sous ce nom, qui semble n’être qu’un domaine de plus devant lequel le terme « neuro » est venu s’accoler dans un but purement marketing, se cache en réalité un champ de recherche fructueux apparu au début des années 2000.
La neuropolitique a pour objectif d’identifier les bases cérébrales des comportements politiques et leur variabilité à l’aide des méthodes classiques des neurosciences. Par exemple, l’imagerie par résonance magnétique anatomique a permis de montrer que la structure de certaines aires cérébrales, comme l’amygdale, variait entre conservateurs et progressistes. Des études utilisant l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle et l’électroencéphalographie ont également révélé des différences d’activité cérébrale entre conservateurs et progressistes pour le traitement de certaines informations. Bien que particulièrement intéressants, ces travaux ne sont réellement informatifs que dans le cadre plus global de l’étude des comportements politiques, qui inclut des travaux ne faisant pas appel à l’imagerie cérébrale, notamment des études de psychologie expérimentale. En faisant l’hypothèse que les comportements politiques sont le produit de mécanismes psychologiques, cérébraux et biologiques, ces travaux intègrent l’analyse des comportements politiques à celle du comportement de façon plus large, permettant ainsi d’identifier le rôle de mécanismes cognitifs connus, comme la coopération et l’influence de la menace, dans les comportements politiques.
Dans ce cadre, les neurosciences permettent également d’aborder la question de l’origine des comportements politiques de façon différente, en considérant les comportements politiques comme le fruit de mécanismes psychologiques soumis à l’influence de différents facteurs et notamment de facteurs biologiques. Une approche des comportements sociaux sous l’angle du fonctionnement et des structures cérébrales, invite à s’intéresser à l’influence de mécanismes biologiques plus larges, c’est-à-dire aux mécanismes physiologiques, hormonaux et même génétiques sur les comportements politiques. Si les études de neurosciences n’ont jusqu’ici pas encore permis d’établir si des différences au niveau cérébral sont la cause ou la conséquence de différences au niveau des comportements politiques, d’autres travaux ont montré de façon robuste l’influence de facteurs biologiques, et plus précisément génétiques, sur certains comportements politiques. Néanmoins, il est important de noter que les comportements politiques réellement influencés par des facteurs génétiques ne sont pas des comportements complexes comme les choix de vote, mais des comportements socio-politiques plus larges, comme le sentiment de confiance ou l’attachement aux traditions. De plus, il ne s’agit bien sûr pas de déterminisme génétique ni de poursuivre l’objectif de prédire les comportements politiques futurs d’un enfant à partir de ceux de ses parents. Il s’agit de mettre en évidence l’influence de facteurs biologiques dont l’étude, avec celle de facteurs bien connus comme la culture et la socialisation, va permettre de mieux comprendre les comportements politiques, leurs origines et leur diversité.

Les neurosciences offrent donc de nouveaux éclairages sur les comportements politiques. Comme toutes les nouvelles connaissances sur le comportement humain, qu’elles viennent des sciences politiques, de la sociologie ou de la psychologie, celles issues de la neuropolitique peuvent néanmoins être utilisées à des fins de manipulation. Toutefois, les possibilités de détournement sont limitées car si les neurosciences et les sciences cognitives de façon plus générale mettent en évidence de façon expérimentale et quantitative l’influence de certains facteurs dans les comportements politiques, ceux-ci étaient pour la plupart déjà identifiés par les politistes. Ainsi, si elles apportent des connaissances précieuses sur les comportements politiques, les sciences cognitives et les neurosciences offrent seulement un éclairage complémentaire sur les mécanismes régissant les comportements politiques, qu’il est nécessaire d’intégrer aux connaissances issues des sciences humaines.♣♣♣
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