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Arnaud Pêtre,
professeur en neuromarketing
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Océane Dousteyssier,
Psychologue sociale, spécialiste du Nudge et de la neuro-éducation.
Neuromarketing, un Big Brother mais au cœur de votre cerveau ?
À lui seul le terme neuromarketing évoque bien des craintes. Ce que TF1 vend à Coca-Cola c’est « du temps de cerveaux humains disponibles » disait avec provocation l’ex-PDG de TF1, Patrick Le Lay en 2004, année de la première publication scientifique en neuromarketing.
Aussi choquant que cela puisse paraître, il n’avait néanmoins pas tout à fait tort, car oui c’est bien notre cerveau qui décide et oriente nos comportements d’achat. Le neuromarketing est une discipline qui s’intéresse à la façon dont notre cerveau est influencé par des arguments marketing telle qu’une marque, un prix, une publicité ou encore, un packaging. Il n’est donc pas à l’origine de la manipulation mais tente de comprendre quels sont les processus neuronaux à l’origine de cette influence.
Le neuromarketing est avant tout une discipline scientifique qui se positionne entre la psychologie cognitive, le marketing et l’économie comportementale. Cette discipline découle particulièrement des recherches du prix Nobel d’économie Daniel Khaneman qui distingue deux modes de fonctionnement cérébraux. Le premier, système 1, serait notre mode de fonctionnement par défaut. Il nous permet de prendre des décisions rapidement, de façon égocentrique et à moindre dépense énergétique. Il s’oppose au système 2, plus lent, plus coûteux en énergie et de ce fait, moins sollicité lors de la prise de décision.
L’interaction entre ces deux systèmes étant à l’origine de notre prise de décision, le neuromarketing vise à utiliser les outils des neurosciences, comme l’imagerie cérébrale pour comprendre l’influence des éléments du mix marketing sur notre processus décisionnel. Il s’intéresse particulièrement aux biais cognitifs influençant nos décisions, tel que cela a été démontré dans de nombreuses revues scientifiques prestigieuses telles que Nature Communications, Neuron ou encore Brain.
Par exemple, en 2008, Hilke Plassmann publie dans Neuron une démonstration de nos choix sous influence. Elle demande à des amateurs de goûter plusieurs vins de cépage pinot présentés comme étant plus ou moins chers dans un scanner par Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Son objectif est de démontrer que le prix indiqué d’un vin va influencer la préférence des participants. Ce que les testeurs ignorent c’est qu’ils goûtent deux fois le même vin (un autre pinot mais étiqueté soit comme du Gevrey Chambertin à 90 € soit comme un modeste pinot suisse à 5 €). Contrairement à la logique, les participants ont évalué qu’ils prenaient plus de plaisir à déguster le vin étiqueté à 90 €, comparativement à ce même vin étiqueté à 5 €. En corollaire, les résultats IRM démontrent que l’aire cérébrale orbito-frontale impliquée dans le circuit de la récompense (MoFC) est plus activée par le vin prestigieux que par le vin à 5 € (pourtant le même). Cette recherche, ainsi que de nombreuses autres sur la même thématique, démontre que notre système 1 peut être influencé par des heuristiques (raccourcis mentaux) telles que « plus cher = meilleur ». Non seulement, on pense que le vin est meilleur mais surtout, au-delà de la pensée on le goûte réellement meilleur. Cette étude a été répliquée, avec les mêmes résultats, sur des amateurs de vins et même sur des œnologues.

Le neuromarketing est une discipline qui s’intéresse à la façon dont notre cerveau est influencé par des arguments marketing telle qu’une marque, un prix, une publicité ou encore, un packaging.
Dans une société à présent saturée par les médias, la publicité et les réseaux sociaux, des points de tension s’installent sur la question du libre arbitre. Ce dernier serait-il menacé par le neuromarketing ? Ce qui est sûr : il n’existe pas de bouton acheter dans la tête des consommateurs, comme cela a été sous-entendu dans certaines vulgarisations mais bien 100 milliards de neurones interconnectés et impliqués dans la décision d’achat. De nombreuses sociétés déclarant faire du neuromarketing ont elles-mêmes contribué à la propagation de ce mythe du bouton d’achat et ont ainsi amplifié le fantasme du neuromarketing comme science de la manipulation au service des puissants.
Le neuromarketing ne vise donc pas à influencer mais plutôt à comprendre les mécanismes par lesquels notre cerveau est sensible à l’influence. De cette théorie, découlent deux approches complémentaires. La première, dite « Nudge 1 » propose d’utiliser notre système 1 en s’adressant directement à lui pour induire des changements comportementaux. La deuxième, appelée « neuro-éducation » propose de renforcer notre système 2 dès le plus jeune âge. Cette deuxième approche impliquerait des changements radicaux dans notre façon de concevoir l’éducation. ♣♣♣
- Le Nudge (ou « coup de pouce » en anglais) est une technique pour inciter des individus ou l’ensemble d’un groupe humain à changer tels comportements ou à faire certains choix sans être sous la contrainte. Cette méthode d’influence est qualifiée de « paternalisme libertaire ». Elle a été mise en lumière, en 2008, par Richard Thaler et Cass Sunstein dans leur livre Nudge : Améliorer les décisions concernant la santé, la richesse et le bonheur.