- Olivier Starquit,
militant associatif, auteur d’"Une éclipse et des lucioles, de la démocratie au XXIe siècle".
Pour que les services publics redeviennent viraux
Le monde est en proie à une pandémie. Le monde est en proie à une nouvelle crise du capitalisme. Et tout à coup, il semble que l’on mette fin aux politiques fiscales restrictives qui ont pesé si lourdement sur les services publics. L’État serait de retour. Certes, les règles relatives aux aides d’État ont été assouplies. Certes, les États membres n’ont temporairement pas à se soucier des règles budgétaires européennes.
Il est tentant d’y voir la fin du néolibéralisme. Cependant, ce dernier est plus qu’un cadre politico-économique qui chante les louanges de la supériorité du marché libre. C’est un ordre social dans lequel les intérêts du capital financier passent en premier.
Sa légitimité a été sérieusement ébranlée une deuxième fois par la pandémie. La première fois en 2008, nous avions connu le sauvetage des banques et puis plus rien. Pas question de socialiser le secteur et de le gérer selon des critères propres au public.
Aujourd’hui, la privatisation des services publics et la marchandisation rampante des soins ont clairement compromis notre capacité à faire face à la crise sanitaire en Belgique et partout dans le monde. Cette situation est ainsi poignante en Espagne, où l’État a été contraint de prendre le contrôle de tous les hôpitaux privés. Aujourd’hui, il est clair que, même décimés, les services publics donnent des droits à la société et veillent à ce que celle-ci fonctionne.

« Leur inscription sur la liste belge des services essentiels est au moins une satisfaction intellectuelle après des années de railleries et d’économies1. » Cependant, comme pour les applaudissements de 20 h , nous ne pouvons pas en tirer de satisfaction. Le gouvernail doit être changé. La revalorisation des services publics et les investissements dans nos infrastructures publiques doivent s’inscrire dans une politique de relance progressive axée sur la production locale de biens stratégiques et sur une transition écologique. Mais il faudra plus qu’un refinancement et plus que plus de moyens humains, financiers et matériels.
Quatre décennies de néolibéralisme ont attaqué et érodé ce modèle : pour le néolibéralisme, il est évident que les services publics constituaient un obstacle à détruire. Et pièce par pièce, ce processus a été mis en œuvre pour en arriver à ce que l’on pourrait appeler un service public en trompe‑l’œil ou à du façadisme, soit une version « Canada Dry » des services publics : ça en a le goût, ça en a l’odeur, mais ça n’est pas du service public. De fait, après des « réformes », si le service public est théoriquement maintenu, un regard plus en profondeur permet de voir que seul le nom – la façade – garde les traits caractéristiques du service public : l’intérieur du concept a été ravagé et revisité à la sauce néolibérale.
Ces modes de fonctionnement ont réduit les services publics à une sorte de service minimum : les sous-investissements ont provoqué la dégradation de ces services, parfois pour en préparer la privatisation. Les directives adoptées au niveau européen et les décisions de la Cour de justice ont également provoqué la libéralisation de plus d’un secteur. Cela a fatalement conduit à une dégradation du service et des conditions de travail de leur personnel.
Ainsi, tout ce qui est vital pour l’être humain doit avoir une garantie publique, soit par un service public, soit par une intervention publique.
Saisir le momentum que cette crise a déclenché revient donc à rendre aux services publics leur attrait d’antan en les gérant selon les principes qui leur sont propres : principe d’égalité (accès pour tous aux mêmes conditions), principe d’universalité et de neutralité, principe de continuité, principe de mutabilité (adaptation) et principe de statutarisation des agents , ce qui les protège de l’arbitraire du pouvoir politique.
Ainsi, tout ce qui est vital pour l’être humain doit avoir une garantie publique, soit par un service public, soit par une intervention publique.
Ainsi conçus et perçus, les services publics offrent un cadre propice à l’épanouissement d’un citoyen (et non uniquement d’un consommateur) dans une démocratie conçue comme une société qui permet à chacun de ses membres de s’épanouir et de devenir des citoyens éclairés et libres qui agissent sur le présent, qui s’investissent dans la vie de la cité, qui participent équitablement à l’effort de production des biens et des savoirs.
- Dries Goedertier, ‘De comeback van de staat?’, Samenleving & Politiek, Jaargang 27, 2020, nr. 5 (mei), pagina 4 tot 5, https ://www.sampol.be/2020/05/de-comeback-van-de-staat