• Bruno Frère
    Bruno Frère
    sociologue et maître de recherche au FNRS de l’Université de Liège

La crise sanitaire de la covid 19 : révélatrice des enjeux écologiques et sociaux

On aurait aimé que la propa­ga­tion de la covid 19 soit le fruit du hasard. Mais l’effroi qui nous terrasse aujourd’hui n’est pas seule­ment la promesse de nombreux morts. C’est aussi et surtout le senti­ment diffus que cette fois, notre système écono­mique y est pour quelque chose.

À l’ère de l’anthropocène, les dégâts provo­qués par la covid 19 sont bel et bien auto-produits, comme « manu­fac­tu­rés » par notre moder­nité produc­ti­viste pour­rait-on dire en repre­nant le diag­nos­tic que posait J.-F. Orianne1 dans une récente carte blanche2. Pas plus que les atten­tats terro­ristes, les crises migra­toires ou les crises finan­cières, cette crise sani­taire ne s’abat sur nous de l’extérieur, en traître. Que l’origine soit le pango­lin, espèce initia­le­ment sauvage qui aujourd’hui fréquente les humains, l’élevage indus­triel ou la fuite du virus hors d’un labo­ra­toire chinois (hypo­thèse qui reste large­ment à démon­trer) ne change rien à l’affaire. Nous sommes en présence d’un agent patho­gène qui se trans­met de l’animal à l’humain à l’occasion des nouvelles promis­cui­tés impo­sées par un para­digme écono­mique qui mobi­lise et exploite tous les êtres, humains et non humains, dont il peut tirer un profit. Il restait à l’humain à le trans­por­ter aux quatre coins du monde à la vitesse des avions qui s’empruntent de nos jours comme on emprunte un simple vélo.

La crise de la covid 19 exprime la crise écolo­gique et sociale. Elle en est même le dupli­cata sani­taire. Elle agit comme un révé­la­teur de la recherche force­née de crois­sance, laquelle ne peut intrin­sè­que­ment pas deve­nir « verte » comme on l’entend parfois. Produire de la viande impli­quera toujours de déboi­ser et de tolé­rer d’importants déga­ge­ments de gaz. Et, exemple clas­sique, une voiture élec­trique exigera toujours pour être construite des ressources colos­sales. Dans le premier cas, les ressources sont animales, dans le second, elles sont tant natu­relles qu’humaines. Mais toutes sont exploi­tées à outrance. Les non humains étant asser­vis autant que les humains.

Cepen­dant, la crise actuelle semble avoir fait naître dans la popu­la­tion une méfiance à l’égard des promesses agro-indus­trielles et une soif de démo­cra­tie quant à la construc­tion du monde d’après. Les profes­sions « subal­ternes » elles-mêmes donnent de la voix. Ainsi, applau­dis tous les soirs par la popu­la­tion, les personnes infir­mières et éboueurs s’organisent pour que leur utilité sociale soit enfin recon­nue à sa juste valeur. De plus, durant le confi­ne­ment une multi­tude de popu­la­tions hété­ro­clites se sont mises à consom­mer dans les circuits courts, défiant par là même l’agro-industrie. Et enfin rete­nons que, de son plein gré, la grande majo­rité de la popu­la­tion belge a respecté les gestes barrières pour proté­ger les autres sans qu’il n’y ait besoin d’une quel­conque force coer­ci­tive. Un tel sens des respon­sa­bi­li­tés mutuelles, prati­qué à même notre démo­cra­tie, a même parfois rendu ridi­cules les mesures liber­ti­cides et infan­ti­li­santes prises par notre gouvernement.

Il y a donc de quoi garder espoir. La soli­da­rité s’est partout donnée à voir durant ces trois derniers mois. Il reste à espé­rer qu’elle parvien­dra à venir à bout de la mala­die de crois­sance dont souffre notre « modernité ».


  1. Jean-Fran­çois Orianne, docteur en socio­lo­gie de l’Université Catho­lique de Louvain, est profes­seur à l’Institut des sciences humaines et sociales de l’Université de Liège.
  2. « La crise du covid 19 : une mala­die auto-immune du système social », La Libre Belgique, 1/04/2020
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