• Jean Faniel
    Jean Faniel
    directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP)
Propos recueillis par Isabelle Leplat

Sortie de crise : les choix seront politiques !

La crise sani­taire a mis en évidence le néces­saire recours à l’État pour appor­ter des réponses et des aides aux personnes et aux entre­prises en diffi­culté écono­mique. La figure de l’État appa­raît une fois de plus comme incon­tour­nable. Pour Jean Faniel, son rôle dans la sortie de crise sera déter­miné par des choix idéologiques.


Salut & Frater­nité : Quels sont les rôles de l’État en matière écono­mique dans cette crise ?

Jean Faniel : L’État est souvent appelé à la rescousse, soit pour remplir des tâches qui ne peuvent pas l’être de manière suffi­sam­ment lucra­tive par le secteur privé, soit quand ce dernier ne parvient pas à faire face en cas de choc impor­tant, comme ce fut le cas lors de la crise bancaire de 2008 ou dans cette crise sani­taire. Il propose ici une aide grâce aux amor­tis­seurs sociaux, comme le chômage tempo­raire – qui a pour but d’aider les personnes qui sont victimes du manque d’ouvrage lié au choc écono­mique, mais qui permet égale­ment aux entre­prises de ne pas perdre leur main‑d’œuvre – ou le droit passe­relle pour les indé­pen­dants. Le budget de ces aides sera mis à charge de la collec­ti­vité dans le cadre du finan­ce­ment de la sécu­rité sociale.

Cela illustre une dimen­sion fonda­men­tale de l’État : celle d’investir. Il inves­tit constam­ment, même si ce n’est pas toujours visible. Or cette crise sani­taire montre que des inves­tis­se­ments n’ont plus été réali­sés. Les coti­sa­tions de sécu­rité sociale, par exemple, ont été réduites de manière linéaire pour permettre d’accroître ou de préser­ver la renta­bi­lité de certaines entre­prises. Par consé­quent, des moyens ont été enle­vés aux soins de santé, ce que, d’une certaine manière, nous payons peut-être aujourd’hui.

© Jon Tyson – Unsplash

Ces dernières années circu­lait un discours compa­rant l’État à un ménage qui ne pouvait pas vivre au-dessus de ses moyens. Aujourd’hui, on s’aperçoit que ce n’est abso­lu­ment pas le cas ! Un ménage, quand il n’y a plus d’argent, ne peut pas dire aux commer­çants qu’il ne les paie pas ou qu’il divise leurs prix par deux pour pouvoir survivre, alors qu’un État est en mesure de suspendre provi­soi­re­ment ou de répu­dier le rembour­se­ment d’une partie ou de la tota­lité de sa dette ou de jouer sur sa fisca­lité. Même si ce n’est pas courant, de très nombreux exemples histo­riques montrent que c’est possible.

S&F : Quel pour­rait être le rôle de l’État après la crise ?

J.F. : Nous nous trou­vons à la jonc­tion de diffé­rentes facettes de l’État, et les choix pour l’avenir seront éminem­ment poli­tiques : s’agira-t-il de favo­ri­ser les acteurs privés ou d’investir dans les services publics ? Veut-on reve­nir à la situa­tion d’avant la crise sani­taire ? Cette dernière option est promue par certains acteurs poli­tiques. D’autres penchent pour tenter de faire évoluer l’État vers autre chose. La palette de possi­bi­li­tés est très large.

Le rôle de l’État dans le futur sera proba­ble­ment central vu l’importance du choc subi, puisque de nombreux secteurs écono­miques auront besoin d’être soute­nus par un acteur fort. Mais les secteurs soute­nus, les moda­li­tés, la manière de les finan­cer à brève et à plus longue échéance durant les années à venir dépen­dront des choix posés. Et ces déci­sions seront bien poli­tiques puisqu’il s’agira de savoir où nous voulons aller, et aussi comment les citoyennes et citoyens y seront impli­qués. Leur demande-t-on à nouveau leur avis via des élec­tions anti­ci­pées ? Trouve-t-on d’autres méca­nismes plus parti­ci­pa­tifs qui leur permettent d’être impli­qués ? Ou reste-t-on simple­ment dans l’idée que la Chambre a été renou­ve­lée il y a un an ?

Le rôle de l’État dans le futur sera proba­ble­ment central vu l’importance du choc subi, puisque de nombreux secteurs écono­miques auront besoin d’être soute­nus par un acteur fort. Mais les secteurs soute­nus, les moda­li­tés, la manière de les finan­cer à brève et à plus longue échéance durant les années à venir dépen­dront des choix posés.

S&F : L’État est-il un rempart dans la crise que nous vivons ? Y en a‑t-il d’autres ?

J.F. : L’État est ce que l’on en fait, mais il n’est pas l’alpha et l’oméga ! Les citoyennes et citoyens ont aussi leur mot à dire et leur rôle à jouer, que ce soit pour orien­ter le cours de l’État et des poli­tiques qu’il mettra en œuvre ou soutien­dra, ou pour pallier ses manque­ments et inter­ve­nir là où il ne le fait pas. C’est aussi le rôle des acteurs écono­miques privés d’essayer de peser sur le cours des inter­ven­tions des États. Au-delà du jeu poli­tique, il existe une force de lobbying, qui n’a d’ailleurs jamais cessé pendant la crise sani­taire, pour tenter d’orienter les déci­sions de l’État ou pour s’y substituer.

Mais sans doute que, dans cette période de crise, l’État est davan­tage vu comme un recours, un acteur incontournable.

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