• L'équipe de l'IHOES
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Propos recueillis par Aline Kockartz

L’IHOES : Un Centre d’archives confiné mais pas déconfit

Association laïque reconnue en Éducation permanente, l’Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale (IHOES) compte parmi ses missions la sensibilisation des acteurs de terrain à la préservation des traces qui permettent de rendre compte de leurs engagements, actions et réflexions. À la fois centre d’archives privées ET service d’éducation permanente, l’IHOES se fonde sur l’action, dès la fin des années septante, des historiens Michel Hannotte et René Deprez, qui visait à valoriser l’histoire sociale au sein de l’historiographie classique et donc la collecte des archives économiques et sociales en Wallonie.

Fondé officiellement le 1er mai 1987 et situé sur le territoire sérésien, l’IHOES peut actuellement compter sur le dynamisme d’une équipe de 6 personnes. Dès les débuts de cette période particulière de confinement, l’IHOES a collaboré à la mise en place du projet Web Archives de Quarantaine, en vue de documenter cette période de l’histoire par la collecte de témoignages sous toutes leurs formes (sonores, photographiques, blogs, récits, images, etc.). L’association reste également active à distance, notamment par la publication d’analyses, le partage d’une lettre d’information en lien avec l’actualité, ainsi que la mise à jour de son catalogue en ligne.

Retour sur le projet Archives de Quarantaine, auquel l’IHOES participe avec le concours d’archivistes de tout le pays.


Entretien avec

L'équipe de l'IHOES

Archiver la période inédite de confinement

Salut & Frater­nité : En quoi consiste cette plate-forme numé­rique consa­crée aux « archives de quaran­taine » ? Quel est l’apport de l’IHOES à ce projet ?

IHOES : Initiée par les deux prin­ci­pales orga­ni­sa­tions profes­sion­nelles d’archivistes du pays (l’AAFB pour la Belgique fran­co­phone et la VVBAD pour la Flandre), la plate-forme « Archives de Quaran­taine » (www​.archi​ves​qua​ran​tai​near​chief​.be) pour­suit plusieurs objec­tifs en rapport avec la pandé­mie de covid 19 : montrer que le secteur des archives ne reste pas inac­tif en matière de collecte sur ce sujet ; propo­ser aux archi­vistes des outils pour orga­ni­ser l’information qui nous vient de toute part ; mettre en avant les initia­tives de la société civile, des insti­tu­tions, des entre­prises et du monde acadé­mique, afin de conscien­ti­ser le public à la néces­sité d’archiver et d’étudier cette période.

L’apport de l’IHOES est essen­tiel. En effet, ce portail a été entiè­re­ment déve­loppé par Lionel Vanvel­them, l’un de ses atta­chés scien­ti­fiques. Par ailleurs, Camille Baillar­geon (égale­ment atta­chée scien­ti­fique à l’IHOES) y ajoute régu­liè­re­ment du contenu. L’Institut conti­nuera à nour­rir la plate-forme dans les prochaines semaines, via des extraits issus d’une collecte de témoi­gnages auprès de syndi­ca­listes de la FGTB de tous niveaux hiérar­chiques, notam­ment concer­nant l’impact de la crise actuelle sur leur travail quoti­dien, les nouvelles ques­tions qu’elle fait surgir en matière de protec­tion des travailleurs, mais aussi les prin­ci­paux défis qu’il convien­dra de régler à l’issue de la crise.

Affiche : La santé ne s’achète pas ! : jour­née natio­nale des médi­ca­ments, samedi 29 janvier 1977 issu du fond d’archives de l’IHOES. © IHOES

S&F : D’un point de vue histo­rique (ou de l’historien), en quoi la collecte d’archives privées sur la période actuelle de confi­ne­ment prend-elle tout son sens ?

IHOES : La période actuelle modi­fie les compor­te­ments de la popu­la­tion : les gens confi­nés ont plus de temps pour obser­ver leur envi­ron­ne­ment, trier ou produire des archives, créer des conte­nus, etc. La crise a aussi fait appa­raître le côté primor­dial de certains métiers dans le fonc­tion­ne­ment de la société (person­nel de soin de santé, travailleurs des services publics, éboueurs, etc.) et la néces­sité de les refi­nan­cer. Les orga­ni­sa­tions et entre­prises doivent quant à elles revoir leurs proces­sus et la manière de répondre aux besoins de leur public. Enfin, de nombreuses initia­tives et mani­fes­ta­tions de soli­da­rité ont vu le jour.

Toutes ces acti­vi­tés génèrent des archives spéci­fiques. D’innombrables traces, surtout numé­riques, sont produites, dont un grand nombre risque de dispa­raître une fois la crise passée. Il est dès lors essen­tiel de les conser­ver pour pouvoir docu­men­ter cette période très parti­cu­lière de notre histoire et analy­ser les impacts durables qu’elle géné­rera. La consul­ta­tion de ces archives s’avérera extrê­me­ment précieuse pour les prochaines géné­ra­tions de cher­cheurs. La crise consti­tue un moment inédit : un boule­ver­se­ment socié­tal certes, mais aussi plus géné­ra­le­ment un moment de ques­tion­ne­ment sur la vie, la mort, l’avenir, la ques­tion de la trans­mis­sion, les liens entre géné­ra­tions, nos rela­tions aux autres, les valeurs de nos socié­tés, nos propres valeurs, etc.

La crise consti­tue un moment inédit : un boule­ver­se­ment socié­tal certes, mais aussi plus géné­ra­le­ment un moment de ques­tion­ne­ment sur la vie, la mort, l’avenir, la ques­tion de la trans­mis­sion, les liens entre géné­ra­tions, nos rela­tions aux autres, les valeurs de nos socié­tés, nos propres valeurs, etc.

S&F : Vous parti­ci­pez au lance­ment d’une carte blanche à l’attention de la ministre de la Culture en Fédé­ra­tion Wallo­nie-Bruxelles, quel est l’objectif de la démarche ?

IHOES : Le travail des archi­vistes est très souvent un travail de l’ombre. Pour­tant, diffu­ser une infor­ma­tion de qualité et rendre acces­sibles à terme les archives produites par les divers acteurs de la société, tant publics que privés, est une tâche primor­diale dans une démo­cra­tie. En ce sens les archives s’adressent à l’ensemble des citoyens et la carte blanche enten­dait rappe­ler ce côté trans­ver­sal des archives. Archives publiques et privées se complètent et sont néces­saires pour l’historien voulant rendre compte d’une réalité dans sa complexité. Une telle mission au service de la société ne peut être remplie que si on nous en donne les moyens. Or, pour l’instant, le secteur des archives privées est dange­reu­se­ment sous-financé et fonc­tionne sans cadre légal. Alors que la conser­va­tion des archives publiques fait l’objet d’une légis­la­tion (la loi de 1955), il n’en est pas de même pour les archives privées qui, sur le terri­toire de la Fédé­ra­tion Wallo­nie-Bruxelles, fonc­tionnent depuis 1994 sur la base d’un décret qui n’a jamais pu être appli­qué correc­te­ment. Un nouveau décret régis­sant le secteur devrait voir le jour, mais ce texte légal se fait attendre depuis de (trop) nombreuses années et il est indis­pen­sable qu’il s’accompagne d’une enve­loppe budgé­taire permet­tant le déve­lop­pe­ment du secteur. C’est pour­quoi nous lançons un large appel aux citoyens à signer à leur tour cette carte blanche.

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