- Christine Defraigne,
présidente du Sénat
La laïcité, bientôt dans la Constitution ?
Depuis 2014, Christine Defraigne est présidente du Sénat. Licenciée en Droit et libérale convaincue, elle suit de près les débats sur l’inscription de la laïcité dans la Constitution. Elle profite de sa position au sein de l’assemblée pour qu’un jour la séparation des Églises et de l’État soit inscrite dans les textes de lois de notre pays.
Salut & Fraternité : Le débat sur l’inscription de la laïcité dans la Constitution n’était pas imaginable il y a quelques années. La situation a‑t-elle changé ?
Christine Defraigne : Je pense qu’il y a une évolution. Alors que nous n’aurions pas pu imaginer avoir ce débat il y a encore dix ans, j’ai le sentiment qu’une prise de conscience a eu lieu sur la question du vivre ensemble et de la coexistence pacifique, intégrée et harmonieuse dans notre pays. Le fait religieux, et ce n’est pas une critique, ne peut pas dicter l’agenda de notre société. Le monde politique et la population en Belgique commencent sérieusement à en prendre conscience.
S&F : Comment les politiques s’emparent-t-ils de cette question ?
C.D. : Une commission spéciale à la Chambre travaille actuellement sur la question de l’inscription de la laïcité dans la Constitution afin de mieux garantir la séparation des Églises et de l’État. Initiée il y a plus d’un an, elle permet un espace de débat et elle ouvre une voie inédite au sein de nos institutions. Si les politiques prennent leurs responsabilités, les conclusions de la commission pourraient déboucher, nous l’espérons, sur une réforme de l’État. Malheureusement le rythme actuel ne nous permet pas encore d’entrevoir cette issue. À l’heure où je vous parle, nous pouvons même considérer que les travaux sont au point mort. En effet, les commissions d’enquête se sont multipliées ces derniers temps et les parlementaires sont accaparés par d’autres actualités.
S&F : L’influence du religieux est-elle encore palpable dans les assemblées ?
C.D. : C’est encore le cas par moment, même sur des sujets que nous pourrions estimer anodins ou évidents. Nous l’avons d’ailleurs vécu au mois de mai lors des débats concernant la loi sur l’étourdissement des animaux avant l’abattage. Alors que la question du bien-être animal est au centre des préoccupations de ses auteurs et qu’elle fait consensus dans la société, nous avons constaté d’importantes levées de bouclier d’inspiration religieuse. En tant que parlementaires, nous mesurons ainsi encore les pressions exercées par des cultes sur une mesure de protection animale et, dès lors, l’importance de voir la primauté de la loi civile sur le fait religieux inscrite en haut de la hiérarchie du droit.

S&F : Comment percevez-vous les différentes positions sur la question parmi vos collègues parlementaires ?
C.D. : Un des éléments de débat, un nœud gordien, est l’utilisation du terme « laïcité ». Il fait l’objet de nombreuses discussions. Certains avancent la différence avec la France où le terme est déjà inscrit dans les textes légaux alors qu’il n’apparaît pas dans les nôtres. Pour une partie de mes collègues, il est également trop connoté en Belgique. Certains arguent qu’un mouvement de pensée y est associé, le mouvement dont le Centre d’Action Laïque est le représentant. Ils lui préfèrent d’ailleurs les termes « neutralité » ou « impartialité objective » qui auraient l’avantage de ne pas mettre un mouvement en avant plutôt qu’un autre.
Le terme « laïcité », pour moi, a l’avantage de la limpidité parce qu’il signifie clairement la séparation des Églises et de l’État, le pied d’égalité entre les religions et la primauté de la loi sur le fait religieux.
Personnellement, j’aimerais répondre à ces arguments en avançant d’abord que l’absence du terme « laïcité » dans nos textes juridiques n’empêche aucunement son utilisation. Ensuite, je pense que le lien avec un mouvement de pensée existant ne nous empêche pas d’inscrire le concept dans les lois. Ce serait absurde de penser le contraire. Si tel était le cas, parler de droits de l’homme serait alors prohibé pour ne pas faire référence à la Ligue des droits de l’Homme. Aussi, le terme « neutralité », bien que séduisant a priori, peine par son manque de clarté juridique. Il laisse la responsabilité de la définition à la jurisprudence. Le terme « laïcité », pour moi, a l’avantage de la limpidité parce qu’il signifie clairement la séparation des Églises et de l’État, le pied d’égalité entre les religions et la primauté de la loi sur le fait religieux.
Évidemment, ce n’est pas qu’un débat sémantique. Inscrire la laïcité dans la Constitution ne va pas résoudre tous les problèmes. C’est une balise juridique mais ce n’est qu’une première étape. Il faudra envisager ensuite concrètement la question de l’intégration et du vivre ensemble pour compléter le puzzle sociétal que nous essayons de mettre sur pied.
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