• Cécile Hoornaert
    Cécile Hoornaert
    directrice de La Bobine
Propos recueillis par Roland Remacle

La Bobine, un lieu d'accueil interculturel

La Bobine asbl a vu le jour en 1987 dans le quartier Sainte-Marguerite à Liège. Son objectif de départ était de travailler au développement harmonieux de l’enfance et l’établissement de relations positives enfants-parents. En venant s’implanter à Droixhe en 1992, La Bobine s’est orientée vers la création d’un lieu d’accueil interculturel s’adressant plus largement à la famille d’origine étrangère et à la femme en particulier. Le choix de venir dans le quartier de Droixhe a permis de toucher un public particulièrement fragilisé constitué d’une forte concentration de personnes issues de l’immigration notamment de femmes arabo-musulmanes analphabètes ou peu scolarisées.

Il y a donc eu là une volonté de s’adresser à ces femmes qui apparaissaient fragilisées et amputées des fonctions d’intégration économique, sociale, relationnelle et culturelle. Dans le même temps, consciente que le vecteur d’éducation est le plus souvent porté par la mère, La Bobine s’est adressée également aux enfants car l’intégration sociale et la réussite scolaire se construisent depuis le plus jeune âge. Si à l’origine, l’association avait renoncé temporairement à la mixité hommes-femmes, le temps d’acquérir des populations la confiance en son action, elle a pu établir celle-ci depuis 2010.

La Bobine accueille par ailleurs aujourd’hui des personnes issues de 30 nationalités différentes. Elle a pour but de favoriser l’intégration harmonieuse des familles d’origine étrangère ayant des jeunes enfants, et ce tant sur le plan social et affectif que professionnel et scolaire, en créant un espace interculturel d’échange, d’information, d’action et de formation.


Entretien avec

Cécile Hoornaert

Intégrer des personnes d’origine étrangère dans une perspective d’émancipation

Salut & Frater­nité : Comment vous êtes-vous inté­grés dans le quar­tier de Droixhe et comment votre asso­cia­tion a‑t-elle évolué ?

Cécile Hoor­naert : Notre action a démarré autour du tapis de jeu dans le local de l’Office de la Nais­sance et de l’Enfance (ONE), un endroit fréquenté par toutes les femmes et leurs enfants. Une équipe de deux personnes (une psycho­pé­da­gogue et une assis­tante sociale) allait à leur rencontre là-bas, animant l’espace de jeu, mais aussi dans le parc et déve­lop­pait des projets en colla­bo­ra­tion avec les écoles. Paral­lè­le­ment, nous avons ouvert un lieu d’accueil conjoint mères-enfants dans les loge­ments sociaux (avenue de la Croix rouge d’abord, square Micha ensuite), puis déve­loppé des cours de couture jume­lés à l’apprentissage du fran­çais. Petit à petit, à la demande des femmes, cet endroit s’est trans­formé en lieu d’apprentissage et les acti­vi­tés d’alphabétisation disso­ciées de la garde des enfants, puis de la couture. Dans leur pays d’origine, la garde d’enfants repose prin­ci­pa­le­ment sur la soli­da­rité fami­liale. Coupées de cette soli­da­rité, ces femmes se retrouvent ici devant une struc­ture d’accueil mécon­nue. Nous avons donc travaillé afin de dépas­ser ces craintes. Par ailleurs, diffé­rentes problé­ma­tiques d’accès ainsi que d’exercice de droits sociaux et cultu­rels étaient vrai­ment prégnantes. Nous avons ainsi déve­loppé un axe social et commu­nau­taire d’accompagnement indi­vi­duel et collec­tif, l’ancrage de l’action au sein du quar­tier (soit des lieux de vie quoti­diens) étant essentiel.

Dans leur pays d’origine, la garde d’enfants repose prin­ci­pa­le­ment sur la soli­da­rité fami­liale. Coupées de cette soli­da­rité, ces femmes se retrouvent ici devant une struc­ture d’accueil méconnue.

Aujourd’hui, La Bobine est implan­tée dans la tour dite « Match » et est consti­tuée de quatre secteurs d’activités : un secteur d’alphabétisation qui est un centre d’insertion socio­pro­fes­sion­nelle, un service d’insertion sociale, un secteur « petite enfance » avec une halte-accueil qui intègre des services d’accueil d’urgence et un lieu de rencontre enfants-parents, un secteur « familles et quar­tier » qui déve­loppe des actions commu­nau­taires et de soutien à la parentalité.

Aujourd’hui, La Bobine propose de l’alphabétisation, de l’insertion sociale, une halte-accueil, des actions commu­nau­taires et de soutien à la paren­ta­lité. © La Bobine

S&F : Parmi les ancrages idéo­lo­giques qui guident vos actions, nous retrou­vons la laïcité, comment ce concept est-il perçu par votre public ?

C.H. : Au travers de la laïcité, nous expri­mons notre volonté de parti­ci­per à la construc­tion d’un idéal de société dont le prin­cipe est la sépa­ra­tion entre les Églises et l’État. Concrè­te­ment, les convic­tions reli­gieuses et philo­so­phiques restent du domaine indi­vi­duel et privé. Nous présen­tons ce prin­cipe tel quel à notre public. C’est assez bien perçu car c’est sécu­ri­sant et cela garan­tit la liberté d’expression de chacun au sein du groupe. Les personnes comprennent qu’il est mis en place dans une pers­pec­tive d’accueil de la diver­sité, d’un espace collec­tif où les liber­tés indi­vi­duelles doivent être respec­tées. Dans le contexte de la forma­tion, nous visons l’établissement de rela­tion de confiance et de cadre péda­go­gique commun. Outre le cadre global contrac­tua­lisé (projet péda­go­gique et Régle­ment d’Ordre Inté­rieur), le groupe s’accorde sur ses propres règles de vie et sa propre charte. Concer­nant la démarche de libre examen, qui implique la remise en ques­tion des idées reçues, nous abor­dons cette ques­tion au travers du respect de la diver­sité, la tolé­rance, la liberté, la citoyen­neté et la soli­da­rité. Nous travaillons la ques­tion de la laïcité de façon perma­nente et transversale.

Concrè­te­ment, les convic­tions reli­gieuses et philo­so­phiques restent du domaine indi­vi­duel et privé. Nous présen­tons ce prin­cipe tel quel à notre public. C’est assez bien perçu car c’est sécu­ri­sant et cela garan­tit la liberté d’expression de chacun au sein du groupe.

S&F : Comment se traduisent les deux autres ancrages, l’émancipation et la justice sociale ?

C.H. : En ce qui concerne l’émancipation, nous travaillons à la prise de conscience de tout ce qui génère de l’inégalité. Nous évoquons aussi ce qui a été fait pour reven­di­quer l’égalité et nous réflé­chis­sons à ce que l’on pour­rait encore faire. L’objectif est de permettre aux personnes de retrou­ver une puis­sance d’agir sur leur vie et sur le monde. Les ques­tions rela­tives aux acquis sociaux des femmes sont abor­dées. En matière de justice sociale, nous sommes en faveur d’une société dont les modes de fonc­tion­ne­ment et de rela­tion dans les champs écono­mique, social, poli­tique et cultu­rel seraient fondés sur la coopé­ra­tion, la redis­tri­bu­tion et le partage équi­table des biens et des ressources, la recon­nais­sance de la valeur de chaque personne et la construc­tion de rela­tions sociales soli­daires. Toutes nos actions visent à rencon­trer l’ensemble de ces prin­cipes éthiques. Bien entendu, nous ne sommes pas seuls pour rele­ver ce défi. De nombreux parte­naires y travaillent avec nous au fil des ans et au travers de diffé­rents projets, dont le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège.

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