• L'équipe des Fieris Féeries
    L'équipe des Fieris Féeries

Être(s) différents

En octobre 2015 se dérou­lera la deuxième édition de la parade des Fieris Féeries. Bien plus qu’un spec­tacle de rue, le projet mobi­lise les ressources du terri­toire séré­sien et les met en valeur. Le but : contri­buer au chan­ge­ment de regard sur la ville en permet­tant l’expression du plus grand nombre, et en donnant notam­ment une voix à ceux qui ont souvent beau­coup de mal à être enten­dus. Afin de mobi­li­ser les forces en présence, de cerner les souhaits des parti­ci­pants mais aussi de dres­ser un pano­rama de leurs compé­tences, de nombreuses rencontres préa­lables ont été organisées.


Ainsi, en juin 2014, nous sommes en phase de réen­clen­che­ment de la dyna­mique parti­ci­pa­tive et créa­tive de l’événement. Des réunions ont lieu avec les parti­ci­pants poten­tiels. Par expé­rience, nous savons que, même s’ils nous ont formulé maintes fois leur désir de se lancer à nouveau dans l’aventure, il va nous falloir mettre beau­coup d’énergie pour les aider à sortir de leur écoute polie. Les inci­ter à oser expri­mer des idées moins conven­tion­nelles, plus auda­cieuses pour mettre en avant les richesses insoup­çon­nées de Seraing. Pas toujours facile d’être créa­tif dans une société de la norme ! Ils sont plus d’une centaine à s’être inscrits dans deux réunions consécutives.

Julia est l’une d’entre eux. Jeune femme enthou­siaste qui a parti­cipé aux Fieris Féeries en 2013, elle a répondu posi­ti­ve­ment à notre invi­ta­tion à la première réunion de lance­ment de l’édition 2015. Au milieu des autres parti­ci­pants, direc­tions d’école, ensei­gnants, membres de groupes folk­lo­riques ou spor­tifs, travailleurs sociaux ou d’administration, repré­sen­tants de comité de quar­tier,… elle écoute le rappel de l’édition 2013. Contrai­re­ment au reste de l’assemblée, elle inter­rompt régu­liè­re­ment la présen­ta­tion en la ponc­tuant de commen­taires très enjoués. Au fur et à mesure, ces inter­ven­tions inopi­nées et spon­ta­nées engendrent d’abord des sourires puis déclenchent des rires dans le reste de l’assemblée, instal­lant ainsi une véri­table décon­trac­tion. Julia était venue avec Les Chan­te­relles, une asso­cia­tion qui réunit des personnes présen­tant un retard mental. Ce soir-là, elle semblait pour­tant la mieux outillée pour l’exercice d’échange et de créa­ti­vité prévu. Elle était en effet l’une des rares personnes à oser s’exprimer sans se soucier du regard des autres. Par sa spon­ta­néité décom­plexée, elle a « auto­risé » les autres parti­ci­pants à être plus témé­raires dans leurs inter­ac­tions et a permis de mettre en exergue le fait que la richesse d’une ville se trou­vait aussi là où on ne l’y atten­dait pas forcément !

Kévin est un jeune homme d’une ving­taine d’années. Il habite depuis toujours le quar­tier du Moli­nay à Seraing où il traîne son grand corps voûté et ses traits tirés. Il donne parfois l’impression d’aboyer plus qu’il ne parle. Son parcours scolaire n’a pas été probant, et sur le marché de l’emploi, il ne pèse pas bien lourd. Il a bien compris que comme son père, sa mère et ses frères, il ne devait pas en attendre grand-chose. Bref, Kévin semble être une invi­ta­tion à la cari­ca­ture : celle de ces jeunes en marge qui vivent « aux crochets de la société », comme on dit de plus en plus souvent. Pour­tant, dans le cadre de la prépa­ra­tion des Fieris Féeries 2015, Kévin fréquente assi­dû­ment les réunions et s’investit plei­ne­ment dans un groupe consti­tué d’habitants aux profils socio­lo­giques très diver­si­fiés, qui mêlent les handi­caps et les diffi­cul­tés de vie. Il a cette apti­tude qu’envieraient tous les démo­crates à ne porter aucun juge­ment sur personne. Il n’est mal à l’aise avec aucune diffé­rence physique, avec aucun choix de vie. En rupture avec une société de plus en plus construite sur les diffé­rences, où la stig­ma­ti­sa­tion et la peur de l’autre font des ravages d’injustices, Kévin a la capa­cité assez décon­cer­tante de voir d’emblée l’humain au-delà des appa­rences. Par son ouver­ture sans réserve, il permet aux groupes dans lesquels il évolue d’accueillir la diver­sité comme une donnée dont il ne faut pas avoir peur.

Bien sûr, Julia, Kévin et leurs semblables ont leurs faiblesses. Yous­sef aussi, d’ailleurs, avec son fran­çais approxi­ma­tif, qui a pour­tant permis à plusieurs de comprendre l’importance de la laïcité de l’État. Et que dire, d’Esméralda et d’Angélina, issues de la commu­nauté des gens du voyage qui, avec les armes de leur jeune âge, suscitent la vigi­lance quant aux droits de la femme ! Mais il serait trop long d’en parler ici. Bien sûr, ces faiblesses sont parfois telle­ment visibles que, pour le public comme pour nous (les « inclus »), elles prennent toute la place dans les échanges que nous avons, ou que bien souvent nous n’avons pas avec eux. Par chance, à travers leur parti­ci­pa­tion à un projet cultu­rel qui avait envie de prendre des chemins de traverse, de créer des espaces de rencontre décloi­son­nés, alter­na­tifs, ils ont, bien souvent, sans s’en rendre compte, mis leur force au service d’une société qui les croit en marge. Ils nous ont appris ou rappelé d’autres manières d’être et de faire société et, parfois, nous avons réussi à suivre leur exemple

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